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Le retour au pouvoir de Donald Trump marque une rupture et un signal d’alarme pour les Européens. Le 47e président des États-Unis a placé son mandat sous une idée simple : America first ! Tout devra plier devant les intérêts de l’Amérique. Et voici l’allié européen ravalé au rang de supplétif. Face à cette furia américaine, qui innerve l’élite civile, militaire, entrepreneuriale des États-Unis, l’Europe, qui n’a pas voulu croire au retour de Donald Trump, n’a rien préparé. Elle semble de ce fait très largement prise au dépourvue.
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Comme souvent, confrontée à un puissant défi, certaines voix, oublieuses de l’Histoire, prônent l’appeasement, c’est-à-dire la recherche coûte que coûte de moyens de calmer la vindicte américaine. La présidente de la Banque centrale européenne, Mme Lagarde a, il y a quelques semaines, suggéré que les Européens devraient conclure un accord avec les Américains, leur promettant de leur acheter plus afin de réduire leur déficit extérieur.
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Le vice-président exécutif de la Commission européenne à la Prospérité et à la Stratégie industrielle, Stéphane Séjourné, de son coté, a évoqué l’idée d’un accord par lequel les Européens, pour s’éviter des droits de douane élevés en matière d’automobiles et autres biens exportés aux États-Unis, s’engageraient à acheter plus de matériel militaire américain.
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Une double erreur
De tels propos sont choquants. À telle enseigne que le ministre des Armées, en des termes cinglants, a eu raison de les condamner. Faut-il rappeler le mot de Churchill « un conciliateur c’est quelqu’un qui nourrit un crocodile en espérant qu’il sera le dernier à être mangé » ? En fait de stratégie, c’est une grave double erreur.
Erreur tactique d’abord. Le président américain est un formidable négociateur. Or, est-il erreur plus profonde que d’arriver à une négociation en ayant par avance abattu ses cartes, et pour tout dire, renoncé à toute posture de résistance ?
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Le champ de bataille se rapproche et nous aurons besoin de nos armes pour y prévaloir
Erreur stratégique surtout. Car de quoi l’Europe et la France ont-elles besoin ? De continuer à se fournir en matériel militaire américain, à un niveau, nous dit le Sipri, qui n’a pas jamais été atteint ? C’est le contraire qui est vrai. Ce dont la France et l’Europe ont besoin, c’est d’une base industrielle et technologique de défense renforcée. Emmanuel Macron a eu raison, dans ses vœux aux Armées, de souligner que « dans un monde où les règles s’effacent et où les arsenaux se remplissent, il nous faut aller plus loin et plus vite ».
C’est à l’évidence la colonne vertébrale de la capacité militaire des Européens. Quel étrange paradoxe, au moment où le retour de Donald Trump achève de convaincre les sceptiques et les rêveurs de la nécessité d’être forts, de baisser les armes ! N’aurions-nous rien appris des manquements graves que la guerre en Ukraine a révélés de nos sociétés trop longtemps endormies dans le confort d’une paix que l’on espérait largement assurée par d’autres ? Oui, le champ de bataille se rapproche et nous aurons besoin de nos armes pour y prévaloir.
Une BITD forte est aussi la clé de l’innovation économique, dont le rapport Draghi a bien montré qu’elle était le cœur du problème européen. Les Américains l’ont bien compris depuis longtemps, dont la force tient à une capacité d’innovation largement issue du complexe militaro-industriel. La France, en la matière a des atouts essentiels. Oublierait-on que dans la quasi-totalité du spectre des matériels militaires notre pays est capable aujourd’hui de faire partie des best in class ? Est-cela que l’on voudrait sacrifier ?
Conserver son sang-froid
C’est dire, en définitive, que face à la pression américaine qui va se déployer, il est urgent de conserver son sang-froid et sa détermination. Et de cesser de louvoyer entre des positions contradictoires. À cet égard, l’on peut nourrir des inquiétudes. En réponse à une question parlementaire sur le point de savoir si les dépenses européennes encadrées par le règlement EDIP – lequel en l’état prévoirait au mieux que seulement 65 % des achats militaires que ferait l’UE concernerait des matériels européens – imposera la préférence européenne et garantira la souveraineté d’utilisation de nos systèmes d’armes, point discuté au sommet européen du 3 février, le ministre des Armées, tout d’un coup moins « mesmérien », a rappelé, à juste titre, que la défense est une prérogative nationale, mais que, en même temps, « l’UE est déjà un marché unique ».
Si chaque État de l’UE est libre d’acheter les matériels militaires auprès de qui il veut, croit-on raisonnable que les fonds européens, donc l’argent du contribuable français, servent à acheter des matériels militaires produits par des entreprises non européennes ? Le réel ne s’accommodera plus longtemps de telles subtilités…
Bruno Alomar, auteur de La réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (École de guerre, 2018)
Cédric Perrin, sénateur LR et président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées
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