« YouTube est devenu la plus grande scène du monde », s’exclame fièrement Charles Savreux, directeur France de la communication de la célèbre plateforme, pour commenter ces deux décennies. Une bougie symbolique, qui est aussi l’occasion de jeter un œil dans le rétro. Le constat ? L’ogre a tout englouti sur sa route. Ringardisant la télé de « papa » et imposant son propre modèle économique, tout en s’adaptant continuellement. À l’émergence des réseaux sociaux, notamment, et désormais à l’explosion de l’intelligence artificielle. Et (presque) tous les contenus et toutes les industries s’y mélangent. On y recherche une recette de cuisine, un épisode culte de Faites entrer l’accusé, un best-of des exploits de Zidane, le replay de notre émission favorite, comme on y suit les campagnes politiques.
À l’image d’Hugo Travers (alias HugoDécrypte) qui, ces dernières années, a proposé à ses 3,26 millions d’abonnés des entretiens avec Emmanuel Macron et Bill Gates. Rien que ça ! « Car nous sommes devenus une étape essentielle dans le cadre d’un plan média », se félicite Charles Savreux. Et les chiffres donnent le vertige. À ce jour, la société créée en 2005 par trois ex-employés de la société PayPal compte près de 43 millions d’utilisateurs. Et, à l’échelle mondiale, son chiffre d’affaires flirte avec les 9 milliards de dollars, ne serait-ce que pour le 3e trimestre 2024. « Toutes les tranches d’âges sont présentes sur la plateforme. Les plus jeunes, comme les seniors. C’est notre grande force », étaye le directeur de la communication.
Première étape clé de son histoire : son rachat, en 2006, pour 1,65 milliards de dollars, par Google, qui souhaite alors concurrencer MySpace (My quoi ?). Deux ans seulement après la mise en ligne de sa première vidéo, YouTube change donc de dimension et passe d’un simple site de partage de vidéos à un véritable géant du web. Profitant ainsi des ressources technologiques (abyssales), de l’algorithme et du réseau publicitaire de son nouveau propriétaire. Une métamorphose, qui aboutit, un an plus tard, au lancement d’un modèle révolutionnaire : la monétisation. Traduction, la possibilité pour les créateurs de contenus d’être rémunérés à hauteur de la popularité des vidéos qu’ils postent.
Par les sommes qu’il distribue, YouTube a contribué (en 2022), au PIB français à hauteur de plus de 850 millions d’euros,et plus de 35 000 Français perçoivent des revenus issus de leur activité sur la plateforme. Le système est aussi simple que gagnant-gagnant. L’auteur d’une vidéo touche un peu plus de 50% de ce que paient les annonceurs, et les sommes sont exponentielles en fonction du nombre de « vues ». Les mastodontes du genre, Squeezie et Cyprien, qui comptent respectivement 19 et 14 millions d’abonnés, derrière leurs dégaines jeunes geeks, pèsent, d’une certaine façon bien plus que les animateurs TV stars des années 90. Car c’est souvent un job à plein temps !
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« J’ai grandi avec YouTube et j’y ai franchi toutes les étapes »
Jean-Baptiste Nicolet, 28 ans, véritable référence d’ans l’univers de l’influence Tech, nous explique : « Je fais environ 150 vidéos par an. Certaines me demandent plus de trois jours de travail intense, alors que leur durée est en moyenne de dix minutes » Et pour communiquer sur leurs nouveaux produits, les plus grandes marques font de plus en plus appel à lui. Apple, Samsung, Mercedes… toutes savent que, plus encore que celle des journalistes, son expertise et (surtout) son million d’abonnés sur sa chaîne, « TheiCollection », aura une résonance potentiellement délirante. Celui qui se rêvait, dans sa chambre d’ado, devenir l’un des acteurs phares de plateforme reconnaît aujourd’hui gagner « très bien » sa vie grâce à elle. « Mais ça ne s’est pas fait en un jour. J’ai grandi avec YouTube et j’y ai franchi toutes les étapes. Quand le site est arrivé en France (en 2007, ndlr), j’avais seulement une dizaine d’années. »

Alors YouTube a-t-il, par ailleurs, rendu la télé obsolète ? S’il n’a pas tué le modèle, il l’a en tous cas profondément transformé. « Déjà parce que 15 millions de personnes regardent quotidiennement la plateforme via leur téléviseur, et non sur leurs smartphones », souligne Charles Savreux. Car plutôt que d’affronter les opérateurs (Bouygues, Free, Orange, etc.) YouTube a préféré intégrer leur écosystème. « Du coup, notre plateforme y est ultra accessible. Soit via le menu de la box, soit directement via un bouton dédié sur la télécommande ».
Un coup de maître là aussi. D’autant que les contenus TV y ont toute leur place. Beaucoup d’émissions de flux – tel C à vous (France 2) – choisissent en ce sens d’y diffuser leur replay juste après diffusion, là où certaines chaînes peuvent aussi s’en servir pour événementialiser leurs contenus : « Sur leurs chaînes YouTube, par exemple, TF1 va proposer des best-of, là où Canal+ va choisir d’y diffuser gratuitement un Grand Prix de F1 ou le premier épisode de l’une de ses séries phares » La concurrence ? Tous ceux qui ont essayé de calquer son modèle ont disparus ou ne suivent pas sa cadence. Et là où beaucoup lui prédisait une mort lente et douloureuse après le « boum » d’Instagram et TikTok, la plateforme s’est tout simplement réinventée.
Devant l’engouement pour les vidéos courtes qui y pullulent, YouTube a dégainé ses « shorts », dès 2020. Conçus pour être visionnés en vertical (spécial smartphones), et ne pouvant excéder 60 secondes, ces nouveaux formats connaissent alors un succès fulgurant. Trois ans après leur lancement, ils comptaient déjà plus de 50 milliards de vues par jour. « Mais ils ont complété l’offre existante, insiste notre expert. Car si YouTube est la plateforme de partage de vidéos la plus populaire au monde, c’est parce qu’elle est la seule a aussi proposer du live, du streaming, et du gaming. »
Le prochain grand défi ? L’IA bien sûr : « En intégrant progressivement de nouveaux outils, comme le doublage automatique des vidéos ou l’accès à des effets spéciaux dignes des plus grands studios de cinéma… » Quand on pense qu’au départ, l’idée était d’en faire un simple site de rencontres… on peut dire qu’en un sens, l’objectif a été atteint !
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