Certains imaginent un peuple sans visage, sans mémoire, sans âme. Pour eux, la France n’est qu’un terrain neutre, où des individus, là par hasard, se croisent par hasard et finalement y vivent par hasard. Un pays sans odeur, sans couleur, sans héritiers. Une terre muette, sans passé, où le vent seul raconte l’histoire avant de l’effacer.
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Ainsi, Xavier Bertrand, a récemment affirmé sur BFMTV : « Être Français, c’est l’adhésion aux valeurs de la République et le respect de la loi. » Le même jour, il suffisait de changer de chaîne, sur LCI, pour entendre Raphaël Enthoven, philosophe télévisuel, entonner un couplet similaire : « Ce qu’est la France, c’est avant tout la patrie des droits de l’Homme. Le reste appartient au folklore. »
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Que retenir de toutes ces affirmations, sinon leur inanité ? Le peuple français ? Un mirage. Une illusion fiscale. Un morceau de papier noirci de l’encre préfectorale. Une case à cocher. Vous voulez être Français ? Cliquez ici cher Monsieur. Et n’oubliez pas les petites lignes en bas du contrat « Principes de la République ». La France ? Un simple contrat. Un abonnement résiliable à tout moment et sans frais. Pour devenir Français, il suffit de souscrire aux « conditions générales d’utilisation », d’accepter sans broncher l’ultime clause du contrat : la soumission aux « valeurs républicaines », cette religion sans transcendance, ce dogme sans mystère. Car tout est là, au fond : pour ces prêtres du néant, le credo est clair : la France n’a jamais existé, et si d’aventure elle avait existé, elle n’aurait eu d’autre but que de s’abolir elle-même.
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Si la France est riche de son histoire, elle l’est aussi de sa diversité (la vraie)
Exit les siècles de labeur, les guerres pour la liberté, les générations ancrées dans la même terre : désormais, l’essence du peuple français ne se lit donc plus dans la transmission, mais dans l’adhésion au droit et aux principes. Mille ans d’enracinement ne sauraient valoir une irréprochable déclaration fiscale : que valent vos racines contre les nécessités comptables ?
Communauté de destin
Poussons encore un cran l’absurdité d’une telle proposition : un vigneron bourguignon, travaillant sa terre depuis des siècles, indifférent aux injonctions administratives et environnementales ? Mais assurément bien moins français que notre touriste poli, appliqué et scrupuleux sur le tri des déchets. Quant au commerçant pakistanais, parfait dans ses déclarations Urssaf, un héros national ! Plus français que les Français eux-mêmes ! Ils croient fonder un peuple, ils ne font qu’organiser un bureau. Le peuple français n’est ni une circulaire ni un numéro INSEE.
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Leur raisonnement souffre d’un paradoxe absurde qui dévoile toute la sécheresse de leur rapport à la France. Si être Français, c’est se plier à un corpus juridique, alors ce corpus lui-même est privé de toute assise. À quelle souveraineté appartient la loi, si elle n’émane pas du peuple Français ? Un peuple fait ses lois. Une loi ne fait pas un peuple. Nos agronomes de la nationalité veulent les œufs sans la poule, la forme sans la chair.
Le peuple français, ce n’est pas un théorème reposant sur des lois ou des principes de philosophie universels. Ce n’est pas non plus une équation dont on pourrait redistribuer les variables au gré des caprices du siècle. Non, le peuple français n’est ni une idée, ni un débat, ni une donnée « construite » livrée au bavardage de quelques philosophes de salons.
La France, c’est cette communauté de destin née des tribus gallo-romaines, façonnée par Rome, cristallisée sous Clovis, sublimée par le baptême de Reims, affirmée par l’épopée capétienne, trempée dans le fer des croisades, consolidée par l’œuvre des cathédrales, structurée par la monarchie et l’Église, projetée dans la modernité par les révolutions et les guerres. Mais si la France est riche de son histoire, elle l’est aussi de sa diversité (la vraie) sans laquelle son âme serait vide.
Continuité de sang et d’esprit
Il y a la France du granit, celle de Bretagne, indomptable, orgueilleuse, où les pardons et les calvaires se dressent comme des sentinelles d’un âge immémorable. Il y a la France des vignes et des plaines, celle du Bordelais et de la Bourgogne, où le vin n’est pas un simple produit mais une tradition sacrée, transmise de père en fils comme un dépôt inaltérable.
La France n’est ni une loi, ni une utopie : c’est une ombre immense qui nous précède et qui nous suit
Il y a la France des montagnes, celle de Savoie, où la neige et la roche forgent des hommes de caractère, taillés pour l’effort. La France du Sud, cette Provence lumineuse et poétique, où l’ombre des oliviers rappelle que Rome et la Chrétienté y ont laissé une empreinte indélébile. Il y a aussi la France intérieure, celle des plaines et des bocages, où la terre, lourde et féconde, façonne des hommes de patience et de labeur.
C’est la France d’où je viens, celle du Berry, pays silencieux mais fidèle, de champs labourés veinés de sillons noirs par le labeur des générations, de bois profonds s’étendant comme des cathédrales silencieuses et des étangs mystérieux de la Brenne sur lesquels les ombres de George Sand et de Maurice Rollinat planent encore. Une France rurale et secrète, une France sans bruit, mais qui dure, obstinée, enracinée dans ses territoires et ses traditions. La France c’est tout cela et bien plus encore.
Le peuple français, ce n’est pas cette équation absurde dans laquelle nos sophistes de bac à sable s’acharnent à bourrer des mots et des principes abstraits, mais un long et vieux creuset civilisationnel, une continuité de sang et d’esprit, maturée par le temps et l’histoire, ancrée concrètement dans une terre et ses morts. La France n’est ni une loi, ni une utopie : c’est une ombre immense qui nous précède et qui nous suit.
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