Plus on prête attention aux coïncidences, plus elles se produisent, a écrit un jour Vladimir Nabokov. Le romancier russe savait qu’elles faisaient souvent de bonnes histoires. En 1994, François Bayrou fut le premier récipiendaire du prix Hugues Capet avec Henri IV, le roi libre, immense succès de librairie. Trente ans plus tard, le même prix, récemment ravivé après dix ans d’interruption par Leurs Altesses Royales Charles-Philippe d’Orléans et Naomi-Valeska d’Orléans, couronne une magistrale biographie de Sully, le plus connu des ministres d’Henri IV, écrite par Laurent Avezou (Sully, bâtisseur de la France moderne, Tallandier).
La coïncidence a été relevée par Franck Ferrand qui s’en est amusé pendant les délibérations du jury avec, entre autres, Amélie de Bourbon-Parme, Jean Sévillia, Stéphane Bern, Jean-Christian Petitfils et Virginie Girod. « Je ne compte pas pour autant devenir Premier ministre dans trente ans », assure en souriant l’historien au JDNews. À l’époque, le futur Premier ministre n’avait pas été insensible à l’intérêt qu’avait porté la maison de France à son livre sur le grand « réconciliateur » qu’avait été Henri IV. « Le Prix Hugues Capet, avait écrit le Béarnais, est le symbole de la continuité des siècles qui se sont écoulés de l’avènement en 987 du premier capétien à la République d’aujourd’hui, la preuve qu’il n’y a qu’une France, façonnée par nombre de génies politiques. »
Sully, un Homme de Fer
Et à n’en pas douter Maximilien de Béthune, duc de Sully, compte parmi ces génies politiques : homme de guerre et homme d’État que la légende des siècles, et surtout celle des manuels d’histoire de la Troisième République, ont fait protecteur des humbles et des paysans, mentor sourcilleux du bon roi Henri IV qui, après les guerres de Religion, a relevé « non pas la France mais un cadavre de la France ». Laurent Avezou n’est pas dupe des images d’Épinal. « Un mythe ne ment pas nécessairement. Il exagère, altère ou édulcore, avance-t-il. Et il en apprend bien plus sur l’environnement culturel qu’il a suscité que sur l’objet de ses remaniements. »
Le duc de Sully n’échappe pas à la règle. Il n’en reste pas moins qu’en ces ultimes années du XVIe siècle, tout est à reconstruire dans le royaume dévasté par les guerres civiles. La biographie de cet archiviste-paléographe, agrégé et docteur en histoire, a ceci de passionnant qu’elle s’autorise de nombreux chassés-croisés avec la légende. On apprend ainsi très vite que le fameux « Paris vaut bien une messe » attribué à Henri IV est en réalité un mot de Sully, lancé sous une forme un peu différente « la couronne vaut bien une messe ».
Le fameux « Paris vaut bien une messe », attribué à Henri IV, est en réalité un mot de Sully
Né le 13 décembre 1559 dans le château de Rosny-sur-Seine, aux confins de la Normandie et de l’Île-de-France, le jeune Maximilien est en effet élevé dans le calvinisme. Il n’a que 12 ans quand il rejoint le service du jeune Henri de Navarre, roi sans couronne de six ans son aîné, « alors que l’imagerie populaire nous le présente plutôt comme nettement plus âgé que son maître, pour mieux lui faire endosser l’apparence du vieux sage », écrit encore Laurent Avezou. Quand Henri IV élève sa « créature » au sens noble qu’implique le terme, « dans la perspective d’un dévouement d’homme à homme », au rang de surintendant des Finances, « le déficit est constant et la dette d’État considérable ».
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Pour faire court, le roi a besoin d’un « baroudeur aux finances », les caisses du roi ressemblant à un véritable « tonneau des danaïdes », écrit l’historien. « Deux cents millions de livres de dettes pour des revenus d’un montant dérisoire de sept millions environ : telle est la situation financière de la monarchie en 1589. » C’est lui, le baron de Rosny puis duc de Sully, l’homme de fer devenu l’homme à tout faire, qui va contribuer à la reconstruction du royaume jusqu’à l’assassinat de son maître Henri IV.
Rebâtir en profondeur
Persuadé que ce grand serviteur de l’État peut être une source d’inspiration pour les hommes politiques d’aujourd’hui, Charles-Philippe d’Orléans explique au JDNews : « Sully symbolise cette capacité à se réinventer après une crise. Quand il accède au pouvoir, la France est en ruine. Il a su la rebâtir grâce à une politique stable de réduction de la dette nationale, de réforme fiscale en profondeur et de promotion de l’industrie. Il faut certes se méfier des parallèles avec notre époque mais il est vrai qu’on ne peut qu’être frappé par les similitudes, notamment la crise budgétaire. » Le prince sait que l’histoire peut sonner faux si on pousse trop loin l’analogie avec l’actualité. Même s’il porte en son cœur l’héritage de plus de mille ans d’histoire, de rois de France et de valeurs capétiennes, le duc d’Anjou sait rester prudent. « On voit bien qu’il y a quelques parallèles à faire avec la situation actuelle de la France. Mais de là à dire que l’actuel Premier ministre est le futur Sully, ça, je ne m’avancerais pas plus loin sur ce terrain… », lance-t-il, énigmatique.
Sentant d’ailleurs le fumet de la politique s’insinuer avec un peu trop d’insistance dans la conversation, le président du second prix littéraire le mieux doté de France précise : « Attention, le prix Hugues Capet n’est pas un prix à visée politique mais un prix qui couronne la recherche historique, en l’occurrence et dans ce cas précis, celle que poursuit depuis plus de vingt ans Laurent Avezou sur Sully. » Fin de la leçon d’histoire ? Pas tout à fait, nuance le prince qui avance à pas comptés : « Pour moi, tout homme politique qui se respecte et qui s’intéresse à l’État français, l’État avec un grand E, devrait garder le livre de Laurent Avezou auprès de soi, comme un livre de chevet afin de voir comment on peut rendre à la France ce qu’elle mérite d’avoir, une bien meilleure santé qu’elle n’a aujourd’hui. »
Laurent Avezou, Sully, bâtisseur de la France moderne, Tallandier, 605 pages, 26,90 euros.
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