Il est des œuvres allant à rebours des genres qu’ils visitent. C’est le cas de ce beau film de guerre anti-belliciste mâtiné de western hivernal où l’on suit une compagnie de tuniques bleues explorant les régions de l’Ouest sauvage en plein conflit sécessionniste. Que ceux qui espèrent assister à un spectacle comme l’Oncle Sam en produit souvent quand il s’agit de fictionner son histoire rebroussent chemin car ici, pas de héros ni de morceaux de bravoure : dans Les Damnés, le spectateur ne verra qu’une seule mais longue et ultraréaliste bataille lors de laquelle l’ennemi restera tapi dans les bois.
Quant aux paysages aussi splendides qu’hostiles, à l’inverse des classiques du western, la faible profondeur de champ les floute au profit des personnages filmés au plus près dans un quotidien que dominent l’attente et l’ennui. Puis dans leur lutte pour le territoire convoité.
Bref, dans cet âpre et contemplatif récit de survie à l’esthétique travaillée (lumière, objectifs grand angle), récompensé du prix de la mise en scène à Cannes à Un certain regard, le réalisateur Roberto Minervini démythifie tout un pan de l’imaginaire américain, et la guerre en général, avec une approche immersive et détailliste, étonnamment envoûtante. « Aux États-Unis, on assiste à une résurgence des valeurs et des clichés de l’ancien Ouest, explique-t-il pour justifier ses motivations. Je voulais créer une dialectique entre le présent et le passé pour mettre en exergue cette division systémique qui est en train d’avoir lieu dans ce pays où le risque d’une guerre civile est bien réel. »
Le cinéaste démythifie l’imaginaire américain
Venu du documentaire (Les Damnés est sa première fiction), le réalisateur, qui vit outre-Atlantique depuis plus de vingt ans et axe son travail sur ses communautés marginalisées, a appliqué une méthode bien à lui sur le tournage, écrivant et réécrivant le scénario au fil de celui-ci pour laisser une importante place à l’imprévu.
Ainsi, les thématiques des dialogues sont issues des échanges entre ses acteurs. Des comédiens non professionnels que Minervini a laissé se débrouiller seuls dans le rude décor du Montana. « En arrivant, ils savaient qu’il y aurait du café, des tentes pour s’abriter du froid et qu’ils devraient faire du feu, mais aucun d’eux ne savait s’il participerait ou non au film. Pendant ces deux mois, ça a généré beaucoup de tensions. Chaque jour, ils se demandaient s’il allait se passer quelque chose. » Comme les personnages dans la première moitié de cette œuvre à la cohérence radicale.
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Les Damnés ★★★, de Roberto Minervini, avec René W. Solomon, Jeremiah Knupp. 1h29. Sortie mercredi 12 février.
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