C’est une ville entière dédiée à la lutte contre le cancer. Cent mille mètres carrés de bureaux et de laboratoires en tous genres où travaillent et se croisent à la machine à café des chercheurs, des cliniciens, des médecins mais aussi des chefs d’entreprise, des start-up et de grands laboratoires pharmaceutiques.
« Notre modèle, c’est le Kendall Square de Boston aux États-Unis, raconte Éric Vivier, le président du Paris Saclay Cancer Cluster (PSCC). À la fin des années 1980, la NASA qui était implantée là déménage toutes ses activités dans le sud des États-Unis à Cap Canaveral et Houston. Elle laisse alors plusieurs kilomètres carrés de friches industrielles. Un coup dur. Mais l’emplacement est idéal, entre le prestigieux MIT et Harvard. Le gouverneur du Massachusetts de l’époque décide alors d’investir un milliard de dollars. Et ils ont réussi, avec une toute petite équipe d’une vingtaine de personnes, à attirer tous les grands noms de la biotec et de la Big Pharma mondiale. Ils sont devenus, à cette station de métro Kendall Square, ce qu’ils appellent “the most innovative square mile on the planet”, en français, le kilomètre carré le plus innovant de la planète. »
La philosophie du PSCC est la même. L’État investit cent millions d’euros sur dix ans avec un tour de table qui regroupe l’Institut polytechnique, l’Université Paris-Saclay, l’Inserm, Gustave-Roussy ainsi que les industriels Sanofi, qui ont investi 50 millions d’euros, ou plus récemment GSK, pour devenir le premier centre européen de lutte contre le cancer. Pas de métro Kendall Square mais une extension de la ligne 14 qui arrive au cœur du projet et le place à 20 minutes du centre de Paris.
Pourquoi une ville dédiée à l’oncologie ?
« Entre l’idée d’un médicament contre le cancer et son administration au patient, il s’écoule en moyenne vingt ans et plus d’un milliard d’euros d’investissements », précise Éric Vivier. Il faut donc accélérer et décloisonner les différents secteurs en faisant travailler ensemble les spécialistes en IA, les chercheurs, les grands groupes pharmaceutiques et les porteurs de projets dans un seul but : transformer les résultats de la recherche en produit industriel, c’est-à-dire en médicament efficace qui pourra changer la vie des malades.
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Parmi les projets révolutionnaires, il y a celui de Cure51, une start-up créée en 2021, porté par son cofondateur Nicolas Wolikow. Il a pour ambition de produire la première base de données mondiale de « survivants exceptionnels » du cancer.
Des données de 2 000 survivants exceptionnels
Un survivant exceptionnel, c’est un patient qui est diagnostiqué d’un cancer très agressif comme le pancréas, le glioblastome qui touche le cerveau ou le cancer du poumon à petites cellules qui est sa forme la plus dangereuse. Et pour les patients qui sont diagnostiqués en phase terminale, en stade 4, généralement la chirurgie n’est plus possible, et c’est donc, dans la majeure partie des cas, quelques soins palliatifs avec une espérance de vie de six mois ou un an maximum. « 98 % de ces patients décèdent malheureusement, mais 1 à 2 % vont survivre. Ce sont eux que l’on appelle les miraculés. Ils reçoivent les mêmes traitements que tous les autres, ils sont suivis par les mêmes équipes médicales, et pour des raisons que l’on ignore aujourd’hui, ils survivent. Pourquoi ? Notre métier, c’est de repérer ces patients dans le cadre d’un projet très international. »
Cure51 a ainsi identifié 2 000 de ces survivants dans 42 pays. Ils récupèrent des échantillons de leurs tumeurs, tout le dossier clinique du patient avec ses traitements, ses, ses chirurgies, des éventuelles contre-indications alimentaires, ses cycles de sommeil, etc. Au total, ce sont des milliards de données qui sont extraites et analysées dans le laboratoire de Gustave-Roussy pour comprendre pourquoi ces patients survivent et trouver des pistes pour de nouveaux traitements.
Le Paris Saclay Cancer Cluster est ouvert à tout le territoire. À Marseille, par exemple, on trouve un autre projet baptisé Innate Pharma, dédié à l’immunothérapie, cocréé par Éric Vivier, immunologiste qui, avant de diriger le PSCC, a passé quatre ans à Harvard. Cette biotech cotée au Nasdaq emploie 180 personnes et développe des médicaments permettant de lutter contre les tumeurs non pas en les ciblant mais en stimulant le système immunitaire qui se chargera de les détruire. Innate Pharma accueille des étudiants de Polytechnique. Tout le monde ici cherche à séduire de nouveaux talents, attirés par ce réseau unique en France.
Et si un vaccin pouvait éradiquer le cancer ?
Autre piste développée parmi les 61 projets déjà retenus par le PSCC, celle de Brenus Pharma née à Lyon. Il s’agit d’un premier vaccin pour les cancers colorectaux. C’est un vaccin thérapeutique qui, utilisé pendant les chimiothérapies, permet de relancer le système immunitaire pour augmenter les chances de guérison. 22 millions d’euros ont été injectés pour les premiers essais cliniques.
« La puissance de l’IA peut tout bouleverser en matière de lutte contre le cancer »
Le Paris Saclay Cancer Cluster est en train de devenir un entrepôt de données de santé global qui rassemble les plus grands talents de la recherche. « Ce mode de travail collectif, allié à la puissance de l’IA, peut tout bouleverser en matière de lutte contre le cancer », insiste Éric Vivier. Et le plus fort, le plus beau, c’est que les malades aussi sont présents sur le site, dans les couloirs de Gustave-Roussy, épicentre de cette ville nouvelle. Et Éric Vivier de conclure : « C’est pour eux et pour leurs familles que nous nous battons. »
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