Sa parole est rare mais elle pèse lourd. Fin janvier, lors de la présentation des résultats du numéro 1 mondial du luxe, le PDG de LVMH Bernard Arnault constate : « On s’apprête à augmenter les impôts des entreprises qui fabriquent en France… à peine croyable ! Pour refroidir les énergies, on fait difficilement mieux, pour pousser à la délocalisation, c’est idéal ! »
La surtaxe exceptionnelle des grandes entreprises, dont LVMH va s’acquitter en 2025 comme environ 500 autres groupes, fait bondir l’entrepreneur le plus successful de France. Pour lui comme pour tous les patrons, qui ont approuvé son coup de gueule, c’en est trop. En général, les patrons se taisent. Au pays de l’égalitarisme, ils sont suspects. Trop payés, pas assez méritants… on ne les cite pas en exemple. Et si on les consulte, c’est souvent pour leur demander des comptes.
Le temps des responsabilités
Tour à tour auditionnés au Parlement, Luca de Meo (Renault), Alain Le Grix de La Salle (ArcelorMittal France) et Florent Menegaux (Michelin), ont été pris à partie. Sur l’usage des aides publiques, les fermetures de sites ou… leur rémunération. Ainsi de Luca de Meo, prié par un député LFI d’indiquer s’il estimait « moralement, intellectuellement […] mériter d’être payé 260 fois le SMIC ». La réplique fuse : « Ne me prenez pas sur ce terrain-là. Vous pensez que je dors la nuit ? On [les grands patrons, NDLR] est des gens qui mettent tout, qui risquent tout. »
De son côté, Florent Menegaux (Michelin) a dû s’expliquer sur les fermetures des sites de Cholet et de Vannes. Lui non plus ne baisse pas la tête. Dans un discours très remarqué, il a démontré comment le géant français des pneumatiques voyait sa compétitivité s’effondrer sous l’avalanche des réglementations et des impôts.
« Je prends le coût de la fiscalité […] la part des impôts de production dans le PIB en France, c’est 4,5 %. La moyenne en Europe, c’est 2,2 %, alors qu’en Allemagne on subventionne la production… Quand on parle de réindustrialisation, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Quand vous taxez la production, quand vous voulez faire de l’exportation, comment voulez-vous être compétitif ? Ce n’est pas possible », lâche-t-il. Si Michelin perd des parts de marché face à la concurrence asiatique, c’est notamment parce qu’il subit des décisions politiques anticompétitives. « Vous jouez un rôle fondamental », a rappelé Florent Menegaux aux sénateurs. De l’art de mettre chacun face à ses responsabilités.
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Si le ras-le-bol des patrons fait du bruit, c’est sans doute parce que tous les voyants de l’économie française sont au rouge. Le chômage augmente, les liquidations d’entreprises explosent, la croissance est anémique. Une vague de plans sociaux déferle sur la France depuis l’automne (Michelin, Vencorex, Auchan, Casino…) et menace d’emporter des centaines de milliers d’emplois. Des pans entiers de l’économie chancellent : la chimie, l’automobile ou le bâtiment.
Pas étonnant que le moral des patrons décline. Au sein du réseau CroissancePlus, 500 entreprises et 100 000 emplois, les « carnets de commandes se vident », constate la présidente Audrey Louail. « Un tiers de nos adhérents réduisent leurs effectifs, le nombre de projets d’investissement s’écroule », poursuit-elle.
Les solutions sont déjà connues
L’avenir ne dit rien qui vaille : suppression d’allègement de charges sur les salaires, coups de rabot sur le crédit d’impôt recherche (CIR) et le crédit d’impôt innovation, le budget 2025 va « encore alourdir le coût du travail », diagnostique Audrey Louail. Avant d’alerter : « Je n’ai jamais vu autant de patrons qui veulent quitter la France tant la compétitivité se dégrade. Ils n’ont plus le choix ! » Des signaux que le gouvernement doit prendre au sérieux, pour éviter un black-out économique. Les solutions sont connues : il faut d’urgence baisser les impôts de production, dont le niveau n’a pas d’égal en Europe, alléger les charges et aller au bout du chantier de la simplification administrative.
Les revenus des patrons de TPE oscillent entre 800 euros et 1 500 euros par mois
Encore faut-il que l’État s’en donne les moyens, en menant enfin de véritables réformes structurelles. En premier lieu, sur la rationalisation et l’efficacité de la dépense sociale, qui représente près d’un tiers du PIB. « Il faut ouvrir le débat sur le temps de travail qui est parmi les plus faibles d’Europe », réclame par ailleurs Marc Sanchez, président du syndicat des indépendants (SDI). « C’est inévitable pour la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat des salariés. »
Au passage, Marc Sanchez rappelle un chiffre choc : selon le baromètre 2024 du SDI, les revenus des patrons de TPE oscillent entre 800 euros et 1 500 euros par mois, pour une moyenne de 50 heures de travail hebdomadaire. Malgré tout, l’immense majorité continue d’y croire… du micro-entrepreneur au PDG du CAC 40. Le redressement de l’économie ne se fera pas sans les patrons. Il faut donc que les mentalités changent. « On a besoin d’un discours politique ultra-positif. L’État doit aimer les entreprises, les choyer. Sinon, ça n’ira pas », conclut Audrey Louail. À bon entendeur…
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