La voix qui s’élève ce soir, sous les moulures élégantes de la salle Gaveau, résonne avec des accents inhabituels. En cette froide soirée d’hiver, Philippe de Villiers, créateur du Puy du Fou, écrivain et chroniqueur à succès, cracheur de feu à l’occasion et poète à plein temps, a quitté ses chemins creux et ses genêts en fleurs pour rejoindre la capitale. Le vicomte au « verbe haut, monumental, qui accroche les mots aux étoiles » est l’invité de cette édition des Rendez-vous du Figaro. « Nous accueillons ce soir un mousquetaire, un hussard blanc, un comploteur invétéré, combattant malheureux mais valeureux, capable de transformer les actes les plus prosaïques en œuvres de légende », lance d’emblée Alexis Brézet, directeur des rédactions du Figaro, qui a récemment consacré la Une du FigMag au « phénomène » Philippe de Villiers.
Aux côtés du journaliste Vincent Trémolet de Villers, Philippe de Villiers balaie du regard les travées de la salle Gaveau, son regard bleuté accrochant chaque visage. « Je suis né à Boulogne, en Vendée. Le nom de cette commune vient d’une rivière rougie du sang des martyrs des Lucs. J’étais un petit gars qui, sans le savoir, cueillait des fleurs de civilisation. » Le conteur s’est emparé de la scène. L’auditoire retient son souffle. L’étrange veillée peut commencer. « Les personnages de mon panthéon étaient des personnages de fermes. Je viens d’une famille de militaires. Verser son sang pour la France, c’est montrer qu’on tient plus à son pays qu’à soi-même. »
Après avoir évoqué son enfance heureuse, bercée par le chant du chardonneret et le murmure des ruisseaux, l’écrivain de Mémoricide raconte son arrivée à Paris, son passage par Sciences Po, puis par la prestigieuse École nationale d’administration. L’occasion pour lui de fustiger ce qu’est devenue son ancienne école. « Les Vendéens ont été remplacés par les Palestiniens. Sciences Po n’est plus Sciences Po. » Une charge sans concession qui déclenche une salve d’applaudissements.
Place maintenant à l’Union européenne, ce « un être des abysses », comme la surnomme Philippe de Villiers. « Ce que l’Union Européenne craint, c’est la lumière. Lorsque l’on éloigne le pouvoir, il n’est plus contrôlé. Il devient alors un haut lieu de la corruption légale. L’UE est sans âmes. Sans tête. Sans corps. Soumise aux intérêts privés ».
Puis, un basculement. « Nous allons passer de l’ombre à la lumière, du Parlement européen au Puy du Fou. » En entendant le nom de son parc vendéen prononcé par Vincent Trémolet de Villers, le visage de Philippe de Villiers s’illumine d’un large sourire. « J’ai voulu faire un hymne et un requiem. Un hymne à la France de toujours et à mon chardonneret, tué par le progrès. Et un requiem pour la Vendée blessée, afin d’offrir une sépulture à la Vendée des Lucs. » Dans la salle, le public est suspendu à ses lèvres. Chose rare, aucun téléphone n’éclaire un visage distrait. « Lorsque je me suis retrouvé face à la ruine, devant le miroir d’encre du Puy du Fou, je me suis dit : Je veux faire de cette ruine piteuse une ruine glorieuse, admirée dans le monde entier. Ainsi est née la Cinéscénie. »
La suite après cette publicité
Après une escapade maritime du côté de l’Atlantique, où le double cœur vendéen bat encore au gré des flots du Vendée Globe, la soirée se recentre sur Philippe de Villiers. « Je suis un exilé. » Sa voix rocailleuse fléchit, hésite. « Le pire exil, ce n’est pas d’être arraché à son pays. C’est d’y vivre, et de ne plus y retrouver ce qu’on y a aimé. » Un silence. Puis un tonnerre d’applaudissements.
« Boualem Sansal est le Soljenitsyne de l’Algérie »
Passant de la Vendée à l’Algérie, Philippe de Villiers évoque à présent avec gravité le sort de son ami Boualem Sansal. Le 16 février marquera trois mois d’emprisonnement pour l’écrivain algérien, retenu dans les geôles de son pays. « Pour moi, Boualem Sansal est le Soljenitsyne de l’Algérie. Tous deux ont, presque dans les mêmes termes, annoncé l’épuisement spirituel de l’Occident », confie celui qui reçut Soljenitsyne dans sa demeure vendéenne en 1993.
Le football ? « Une passion dévorante. » L’intelligence artificielle ? « Au Puy du Fou, on a l’intelligence humaine. » L’Église catholique ? « Puisqu’ils ne veulent plus de grégorien dans les églises, je vais en mettre au Puy du Fou. » Sous l’orgue monumental de la salle Gaveau, Philippe de Villiers se livre sans fard, avec la liberté de ton qui fait sa marque.
Il est 21h45. La conférence s’achève, mais dans la salle, beaucoup restent figés, pensifs. Au rez-de-chaussée, une file immense déborde jusque dans la rue. Tous attendent une dédicace du passeur de mémoire. « Il a tellement d’esprit », « Quelle culture exceptionnelle », souffle-t-on dans l’attente. « C’était brillant, toujours les mots justes. Pour un jeune comme moi, c’est très inspirant », confie Paul, 18 ans.
« J’ai 75 ans. Beaucoup me demandent : mais qu’est-ce qui te prend ? » Le regard de Philippe de Villiers se perd dans la foule, suspendue à ses paroles. « Rien ne se perd jamais », répondait le général Charette aux soldats révolutionnaires qui l’encerclaient dans le bois de la Chabotterie. Plus de 220 ans après sa mort, le garde-marine peut reposer en paix. Son panache, le dernier panache, a trouvé un héritier à sa hauteur.
Source : Lire Plus