« J’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote. Je dissous donc ce soir l’Assemblée nationale », annonçait Emmanuel Macron aux Français le 9 juin dernier. Une décision stoppant nette l’activité parlementaire du pays, qui n’a repris qu’au ralenti, notamment en raison de la chute du gouvernement Barnier et des négociations autour du budget. Depuis, seulement 15 lois ont été promulguées. La moitié moins que l’année dernière à la même époque. Bonne ou mauvaise nouvelle ?
« C’est une très bonne nouvelle !, se réjouit le haut fonctionnaire Christophe Eoche-Duval, auteur de L’inflation normative (Plon). Sauf pour les tenants de la production normative éhontée et sans limite ». La dissolution a contraint Michel Barnier, puis François Bayrou, à un « peu d’humilité législative », s’amuse l’essayiste, qui anticipe une hausse de 1,5 % de l’inflation normative pour 2024, contre 2,5 à 3 % en moyenne.
« Peu de grands textes sous cette législature »
Les gouvernements successifs ont en effet dû faire preuve d’une certaine « économie législative » en l’absence de majorité, explique Benjamin Morel, sous peine de voir leur texte complètement dénaturé par une Assemblée divisée, rejeté, ou pire, d’être censurés, comme Michel Barnier en a fait l’expérience. « Mais ce n’est pas forcément grave, précise le politologue. On fait beaucoup de lois d’affichage ». Comprendre : des lois qui ne changent pas grand-chose, si ce n’est qu’elles rendent, selon le constitutionnaliste, le droit « illisible », notamment sur les collectivités territoriales.
Là où le bât blesse, c’est sur les thèmes plus clivants, pour lesquels les Français réclament des actes. Vendredi dernier, un sondage CSA pour CNews, Europe 1 et le JDD révélait que 68 % des Français souhaitent l’instauration de quotas d’immigration par métier et par pays. Compte tenu de la composition de l’Assemblée nationale depuis juin dernier, tout texte sur le sujet serait en danger de mort dès son arrivée au Palais-Bourbon. « On aura peu de grands textes sous cette législature, prédit Benjamin Morel. Un projet de loi sur le droit du sol, par exemple, cristalliserait une majorité contre le gouvernement. Ce serait trop risqué. »
Accélérer le processus législatif
« Si à la place de la dissolution, Michel Barnier avait été nommé à Matignon, nous aurions pu avancer,regrette le député LR de la Loire Antoine Vermorel-Marques. Il y a tellement de problèmes à régler qu’on a quand même besoin de légiférer, y compris pour simplifier les normes. »La dissolution a retardé l’examen, voire entièrement suspendu, de nombreux textes : projet de loi sur l’orientation agricole, sur la fin de vie, proposition de loi sur l’intervention des cabinets de conseil dans les politiques publiques, contre la fast-fashion, les polluants éternels… Comment rattraper le temps perdu après tous les rebondissements liés à l’annonce inattendue d’Emmanuel Macron ?
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François Bayrou propose de réformer le règlement parlementaire, rapporte Le Parisien. Le Premier ministre veut regrouper tous les votes des projets de loi en une demi-journée, obligeant ainsi les députés à siéger et garantissant des scrutins en hémicycle plein. L’objectif ? Mettre fin à l’absentéisme et accélérer le processus législatif. Une mesure que soutient Antoine Vermorel-Marques, qui suggère également une autre piste : une nouvelle lecture de l’article 48 de la Constitution, qui régit l’ordre du jour parlementaire.
Depuis 2008, l’ordre du jour des assemblées est partagé entre le Parlement et le gouvernement. En pratique, le gouvernement garde la priorité sur l’examen des projets de loi, qu’il peut inscrire à l’ordre du jour pendant deux semaines sur quatre, tandis que les propositions de loi portées par l’opposition ou les parlementaires minoritaires n’ont qu’une journée par mois pour être débattues, le reste du temps étant réservé au contrôle du gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques.
« Le gouvernement aurait intérêt à inscrire davantage de propositions de loi à l’ordre du jour puisque ses projets sont en danger », assure l’élu de la 5e circonscription de la Loire. Sous la IVe République, dont de nombreux traits rappellent la configuration politique actuelle, l’ordre du jour du Parlement était après tout majoritairement fixé par les assemblées elles-mêmes. Attention à ne pas tomber dans le miroir aux alouettes – cela pourrait signer le retour de l’inflation normative.
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