Depuis des années, La France insoumise (LFI) s’est nourrie du vacarme médiatique et des coups d’éclat politiques. Mais son moteur – la polémique permanente – tourne aujourd’hui à vide. À force de tout dénoncer sans jamais rien proposer, le mouvement s’enferme dans une contestation stérile.
Dernière cible en date du tribun insoumis : ceux qui créent la richesse. Fidèle à son obsession anti-milliardaires, Jean-Luc Mélenchon s’est fendu d’un nouveau prêche il y a quelques jours à Angers : « Il est immoral d’être milliardaire. » Un refrain bien connu, mais qui, cette fois, sonne creux. Car pendant qu’il fulmine contre les grandes fortunes, la France déroule le tapis rouge aux géants de la tech mondiale à Paris. L’époque où les diatribes mélenchonistes faisaient trembler la République semble révolue. Son discours tourne en boucle, et même ses fidèles finissent par se lasser.
Surtout que dans les urnes, les électeurs ne répondent plus. Ou plutôt, ils répondent autrement. Villeneuve-Saint-Georges en a été le dernier théâtre. Ce bastion supposé de la gauche a infligé un camouflet retentissant à Louis Boyard, dont la liste a été sèchement rejetée lors d’une municipale partielle où la gauche avait pourtant tout misé. Verdict sans appel : la radicalité ne mobilise plus. Mais ce n’est pas qu’une défaite locale, c’est un naufrage symbolique. Boyard a lui-même creusé sa tombe électorale en intégrant à sa liste un candidat pro-Hamas. Un choix indéfendable, qui n’a pourtant pas empêché ses alliés du Nouveau Front populaire d’appeler à voter pour lui. Résultat : abstention massive et humiliation dans les urnes.
Le logiciel est obsolète
Ironie du sort, ceux qui se drapent dans la République ont été désavoués par leurs propres électeurs. La gauche radicale récolte la défaite et le désaveu.Même dans ses bastions historiques comme la Seine-Saint-Denis, LFI voit son socle s’effriter. En coulisses, certains élus commencent à le reconnaître : les classes populaires ne suivent plus. Pire, elles se détournent. Soit vers l’abstention, soit vers le Rassemblement national. Double désaveu. Mais plutôt que d’amender sa ligne, le mouvement de Mélenchon s’accroche à son logiciel. Un cadre insoumis, refusant toute autocritique, résume la nouvelle stratégie : « Il y a 7,7 millions de mal-inscrits et 2 millions de non-inscrits, ce sont eux que nous allons chercher pour la présidentielle. » Autrement dit, pas question de changer de discours ni de se recentrer.
Privée d’influence sur le réel, LFI se réfugie dans l’agitation. À Bruxelles, le refus de l’eurodéputée Rima Hassan de voter la résolution européenne exigeant la libération de Boualem Sansal en est une nouvelle démonstration. Le tollé est immédiat, et même la gauche s’indigne. Raphaël Glucksmann parle de « honte », François Ruffin exprime son « désaccord complet », Aurélien Rousseau fustige un « argumentaire insoutenable ». Mais chez les Insoumis, pas question de flancher. Car ce parti a ses priorités. Les députés qui achètent de la drogue à des mineurs de 14 ans, comme Andy Kerbrat ? Silence radio. Le chaos dans l’hémicycle ? Pas un sujet. Les images surréalistes d’Ersilia Soudais frappant son bureau avec une pochette plastique ? Circulez, y’a rien à voir. Pourtant, un cadre du parti l’affirme sans ciller : « On se tient mieux à l’Assemblée pour échapper au procès en diabolisation. On n’est pas cons, on a bien compris que le discours médiatique est contre nous, on fait plus attention à ne pas donner prise aux accusations de vouloir bordéliser… On est plus tranquilles. » On ose à peine imaginer ce que cela donnerait s’ils ne l’étaient pas.
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Ce qui fut un étendard devient un boulet
Les « dérives » de LFI ne sont pas des accidents de parcours, mais une ligne de conduite méthodiquement suivie : ne jamais être du côté de l’Occident. Du Hamas à l’Algérie, LFI s’est imposée comme l’opposant pavlovien aux « puissances coloniales », quitte à défendre l’indéfendable. Dernière illustration en date : le 9 février, sur CNews et Europe 1, Manuel Bompard, coordinateur du mouvement, a refusé de reconnaître que l’islamisme constitue « une menace existentielle » pour la France. Une pirouette rhétorique de plus, qui en dit long sur l’aveuglement du parti face aux réalités du pays. Mais au-delà de ce cas précis, une question s’impose : quand un responsable LFI – ou même plus largement un leader de gauche – a-t-il parlé de la France autrement qu’en des termes dépréciatifs ?
À force de toujours prendre position contre la France, au gré des débats et des crises, le patriotisme de gauche dont Mélenchon se réclamait naguère semble s’être évaporé. Pendant un temps, cette posture a séduit une partie des quartiers populaires. Mais aujourd’hui, elle se retourne contre eux. Ce qui fut un étendard devient un boulet. Un boulet dont le Parti socialiste aimerait bien se délester. Après l’échec de la motion de censure contre François Bayrou, La France insoumise s’est retrouvée isolée. Un temps. Le PS a refusé de suivre, et beaucoup y ont vu une rupture. Mais l’illusion fut de courte durée. « Aucun des deux camps n’a intérêt à rompre définitivement », confie un fin connaisseur du PS.
La gauche, coincée sous les 30 %, sait qu’elle ne peut pas se permettre une guerre fratricide, surtout face à une droite en pleine ascension. Et Mélenchon, trop expérimenté pour l’ignorer, en tire les conclusions. Conscient que le temps joue contre lui, il accélère. Il alimente l’hypothèse d’une présidentielle anticipée, se met en scène en recours inévitable, multiplie les interventions pour imposer son leadership – ce qui ne provoque pas plus de réactions de son propre camp. Pourquoi ? « Depuis qu’on a viré les grandes gueules, le groupe fonctionne mieux, reconnaît un dirigeant du parti. On est plus solide. En réunion, on se parle franchement, on a des désaccords. Mais rien ne sort. Avant, tout fuyait sur les réseaux sociaux dans la minute. Aujourd’hui, on s’engueule toujours autant, mais une fois la ligne arrêtée, plus personne ne sort du rang. » Jusqu’à quand ?
D’ici 2027, l’horizon immédiat s’appelle 2026. Les municipales seront cruciales. LFI scrute 150 villes où Mélenchon a dépassé les 40 % en 2022. Mais traduire ces scores en conquêtes municipales relève du défi. À Montpellier, peut-elle défier Michaël Delafosse sans faire exploser ce qu’il reste du Nouveau Front populaire ? À Saint-Denis, peut-elle s’imposer sans provoquer une guerre ouverte avec le PS ? La survie du mouvement passe par un ancrage local plus fort. Mais la radicalité qui a fait son succès devient un frein. Incapable d’élargir sa base, de plus en plus marginale, LFI ressemble désormais à une force cantonnée à l’opposition stérile. La fuite en avant continue. Mais la chute semble inéluctable.
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