Chefs d’État et de gouvernement, PDG des plus grandes entreprises internationales – Airbus, Google, OpenAI, Meta, Dassault, Amazon ou Thalès –, scientifiques parmi les plus éminents de la planète… : la liste des participants au troisième Sommet mondial pour l’action sur l’intelligence artificielle, coprésidé par la France et l’Inde, avait de quoi donner le tournis. Emmanuel Macron a clôturé mardi une semaine d’émulation commencée à l’institut Gustave-Roussy le 4 février.
Parmi les annonces : des investissements publics et privés de 109 milliards, « l’équivalent pour la France de ce que les États-Unis ont annoncé avec Stargate », selon Emmanuel Macron, la création de 35 nouveaux data centers en France, dont un gigantesque d’une puissance d’un gigawatt, l’équivalent d’un réacteur nucléaire, en partenariat avec les Émirats arabes unis qui investiront 30 à 50 milliards d’euros. L’objectif est « de ne pas dépendre des Américains et des Chinois », a affirmé Emmanuel Macron qui évoque « un moment d’opportunité pour l’humanité ». « À l’heure où les annonces se multiplient de part et d’autre, il était important que l’on puisse réagir et être présents sur la carte », estime Pierre Raoul, vice-président IA Solutions de Havas France qui salue « la volonté de souveraineté » exprimée par le chef de l’État.
L’argent, le nerf de la guerre
Mais n’est-ce pas trop tard ? La France, et plus globalement l’Europe, ont-elles déjà perdu ce combat ? « La Chine et les États-Unis ont pris beaucoup d’avance mais ce qui est important, c’est d’observer maintenant comment ces investissements seront utilisés ces dix-huit prochains mois, chez nous comme aux États-Unis. La bataille n’est pas encore perdue ! » veut croire Pierre Raoul.
Le 21 janvier dernier, Donald Trump semble avoir porté le coup de grâce à des Européens déjà chancelants. Le président américain, tout juste investi, annonce son plan Stargate, soutenu par les géants OpenAI, SoftBank ou Oracle, avec un investissement colossal de 500 milliards de dollars. Une étape significative dans la stratégie des États-Unis en réponse à la concurrence internationale et en particulier aux velléités chinoises.
Comme une réplique, la start-up chinoise DeepSeek annonce dans la foulée la sortie de son chatbot (à l’instar de ChatGPT), bien moins cher. Le monde de la tech européenne accuse le coup. « Il faudrait pouvoir investir 800 milliards pour rattraper notre retard, mais encore faut-il avoir un vrai leadership. Je ne fais pas confiance à la présidente de la Commission européenne pour bien dépenser cet argent, quand bien même cet investissement serait acté ! » estime Rafik Smati, l’auteur du Nouveau Temps. Comment reprendre le contrôle à l’ère de l’IA (Eyrolles). L’entrepreneur dans la tech poursuit : « Ursula von der Leyen préfère parler d’IA inclusive et réguler. L’axe de l’Europe, c’est la contrainte, l’IA Act fait 700 pages, alors que les États-Unis dérégulent à tout va et les Chinois sont dans le contrôle maximum. »
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Pour cause, durant ce sommet, Emmanuel Macron a appelé à une « régulation mondiale ». « Il est important de continuer à réguler, abonde Pierre Raoul, c’est primordial pour bien utiliser l’IA et il est évident que ces règles doivent être équitables. » L’avocate Nathalie Beslay, spécialiste des nouvelles technologies, se veut rassurante : « Tous les pays développés, y compris la Chine et les États-Unis, régulent déjà ! En Chine, les textes sont presque plus contraignants que chez nous mais personne ne les lit, car c’est un sujet d’expert », estime-t-elle, précisant que « ce n’est pas la réglementation qui freine l’innovation » mais « les moyens financiers qui manquent en Europe ».
Le retour des cerveaux
Les initiatives et investissements annoncés lors de ce sommet 2025 changeront-ils la donne ? « Nous ne découvrons pas l’IA, la stratégie française a débuté en 2018. Nous sommes une puissance de l’intelligence artificielle », assure-t-on à l’Élysée. Emmanuel Macron a rappelé les ressources dont dispose la France en énergie décarbonée, indispensable pour les besoins de ce secteur énergivore, mais aussi l’existence d’acteurs d’envergure. Le plateau de Paris-Saclay, qui a accueilli les journées scientifiques du sommet, en est une illustration des plus significatives. C’est ici qu’Arthur Mensch, fondateur de Mistral, a passé son master MVA, l’un des meilleurs du monde en IA. Le PDG a d’ailleurs dévoilé lors de ce sommet une application de conversation IA « Le Chat » et a annoncé la construction du premier centre de données avec un investissement de plusieurs milliards d’euros.
C’est aussi à l’Inria, implanté sur le campus, qu’il a soutenu sa thèse. « Nous n’avons plus de problème d’attractivité en France », balaie Bruno Sportisse, le PDG de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique, alors que de nombreuses voix pointent la fuite des cerveaux. « Nous avons recruté 200 scientifiques dont 40 % d’étrangers parmi les meilleurs du monde ! On a doublé nos recrutements. » Le chercheur met en avant la mise en place d’un véritable écosystème de l’IA à la faveur de cette stratégie nationale. « 2,5 milliards ont été mis sur la table depuis 2018, c’est énorme à l’échelle de la France. » La BPI, de son côté, rappelle au JDNews l’investissement de 10 milliards d’euros d’ici 2029.
Autre atout majeur de la France : les domaines d’application de l’IA dans la Santé, comme l’atteste PariSanté Campus, désigné le 6 février pour fédérer l’ensemble des acteurs. Antoine Tesnière, son directeur général, nous explique : « Dans le domaine de la santé en Europe, on sait faire mieux et moins cher. Nous hébergeons une quarantaine de start-up, qui révolutionnent grâce à l’IA le diagnostic, l’organisation ou les soins, notamment dans les maladies comme le cancer. À terme, l’intelligence artificielle, ce sera 100 % de nos jeunes pousses ! »
« L’IA, ce n’est pas que les moteurs de recherche ou ChatGPT, résume Bruno Sportisse. Il ne faut pas jouer sur le terrain de jeu des Américains dont les moyens sont colossaux ! » Un combat qui aurait sans doute été perdu d’avance.
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