C’était presque trop beau. Un président largement élu qui, fort de son succès écrasant en novembre 2024, redore le blason du pouvoir exécutif américain à la manière d’un Franklin D. Roosevelt arrivant à la Maison-Blanche. Les deux chambres du Congrès disposant d’une majorité acquise au chef de l’État. Un Parti républicain désormais façonné à la sauce Maga où les derniers représentants de l’aile néoconservatrice ont disparu des écrans radars. Un Parti démocrate aux abonnés absents, qui n’a jamais été aussi impopulaire dans les sondages depuis près de vingt ans. Et patatras ! L’idéologie vaincue dans les urnes retrouve des couleurs dans les tribunaux.
Trump en aurait presque oublié que, dans ce théâtre de ruines de la gauche américaine où sont enterrés les vestiges des programmes de « diversité, équité et inclusion », où les transgenres sont désormais bannis des vestiaires de sport féminins, où le wokisme pousse ses derniers râles d’agonie, subsistait presque intact un pouvoir judiciaire bien décidé à mettre des bâtons dans les roues de cette révolution populiste que les juges fédéraux exècrent depuis huit ans. L’âge d’or promis par Trump lors de son investiture se trouve sous le feu des mesures dilatoires.
L’idéologie vaincue dans les urnes retrouve des couleurs dans les tribunaux
En Amérique, on ne peut pas comprendre l’opposition au trumpisme sans comprendre le Parti démocrate de ces trente dernières années. Pour la gauche clintonienne, pro-mondialiste et compatible avec le néoconservatisme, on peut tout à fait parer à la volonté du peuple, devenu une entité méprisable. Lui imposer des traités commerciaux qu’il n’a pas approuvés, des guerres sous des prétextes fallacieux, dépenser l’argent du contribuable sans s’expliquer. Ça, c’est quand les démocrates ont le pouvoir… Ils détestent l’exécutif mais sont friands d’accommodements : dans le brouillard de l’administration se trouve leur royaume.
Quand, en revanche, la gauche est dans l’opposition, spécialement sous Trump, débordée par les décrets et le flot continu de décisions prises à la Maison-Blanche, elle dispose d’un seul levier. Ne pouvant plus faire appel à l’opinion publique – toutes les manifestations anti-Trump de ce début de mandat ont tourné au fiasco, jusqu’au ridicule parfois de certaines démonstrations –, elle se tourne vers la justice puisque plus grand monde ne regarde ses médias.
En soi, au pays des thèses de Montesquieu appliquées à la lettre par les Pères fondateurs américains – on oublie vite que la Constitution américaine doit beaucoup au philosophe français –, la séparation des pouvoirs n’est pas une nouveauté. Elle est même sacrée. Trump est un hyperprésident, tirant tous azimuts ? Il est logique que certaines de ses décisions soient contestées et leur application interrompue par des juges fédéraux. En l’espèce, ces derniers ne chôment pas : déjà 35 décrets présidentiels bloqués en justice.
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« J’ai voté pour ça »
Le « Trump Train », expression utilisée dans les meetings du républicain, est à l’arrêt dans certaines gares démocrates. Par des juges qui se sentent tout à coup pousser des ailes. Chargés d’appliquer la loi et rien que les lois, les voilà partis en résistance.
Dernier avatar en date, la décision du juge Paul Engelmayer d’interdire à toutes les personnes nommées politiquement par Trump – y compris le secrétaire au Trésor Scott Bessent – d’accéder aux données du département du Trésor ! Magistrat pour le district sud de New York, Engelmayer, pur produit de l’élite new-yorkaise, connu des habitants de Big Apple pour avoir permis le paiement d’heures supplémentaires à plus d’un millier de strip-teaseuses de Manhattan, avait été nommé à ce poste par Barack Obama. Saisi par la procureure générale de New York, Letitia James, ennemie jurée de Donald Trump, ainsi que dix-huit autres procureurs généraux d’État, Engelmayer a ainsi rédigé une injonction temporaire (une sorte d’ordonnance de référé à la sauce américaine) de bloquer l’accès des services du Département de l’efficacité gouvernementale (le Doge) aux systèmes de paiement des fonctionnaires.
À la tête de ce ministère non officiel, Elon Musk avait engagé des jeunes férus d’informatique pour éplucher les dépenses publiques et faire le ménage dans les lignes de compte, avec des découvertes parfois surprenantes, comme cette douzaine d’Américains âgés de plus de 150 ans et qui percevaient encore des prestations de la Sécurité sociale ! Les méthodes trumpiennes (aller vite et voir ensuite si les résultats sont bons, quitte à utiliser des procédés hétérodoxes) alliées à l’enthousiasme d’Elon Musk, inspirées par les solutions argentines de Javier Milei, sont à des années-lumière de l’atermoiement des bureaucrates que compte Washington, ce fameux « marais » que veut assécher Trump, cet « État profond » que vomissent ses électeurs depuis que le milliardaire new-yorkais est devenu leur héros. Les démocrates, encore groggys par leur défaite, croient avoir trouvé un slogan : « Vous n’avez pas voté pour ça ! » répètent-ils. Sauf que les Américains ont tout à fait voté pour ça !
Trump n’a cessé de répéter ce que ferait Musk à la tête du Doge ; en appliquant à la lettre son programme, il ne les prend pas en traîtres… En réponse, le « J’ai voté pour ça » a justement fleuri sur les réseaux sociaux. Voilà le peuple trumpien pris en flagrant délit de soutien à son président par des démocrates qui, en retardant chacune des décisions exécutives, attendent patiemment les midterms de novembre 2026, soit demain en politique américaine.
Un pari périlleux
Aussi baroque que puisse paraître le couple Musk-Trump, la nouvelle administration n’ignorait rien de ce qui allait se produire. Rien de neuf sous le soleil de Washington, sauf justement l’essentiel : la Cour suprême. C’est elle qui, après l’épuisement des recours devant les cours d’appel du pays, décidera de la validité des méthodes employées. Six juges de la plus haute juridiction américaine sur neuf sont conservateurs. Trois d’entre eux ont été nommés par Trump. Iront-ils inscrire dans le marbre les nouvelles prérogatives présidentielles – au risque de les voir un jour profiter à un président démocrate ? Le sort de cette révolution populiste est entre leurs mains. Un pari périlleux qui décidera du visage de l’Amérique.
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