« Sauver Tchang ! » L’année de ses 33 ans, alors que le monde est mis sous cloche pendant la pandémie de Covid et que le goût du risque est devenu un délit, Maxime Dalle part pour le Népal, en suivant l’itinéraire imaginé par Hergé de Katmandou jusqu’au massif du Gosainthan, au cœur de l’Himalaya. L’écrivain voyageur et ses deux meilleurs amis veulent retrouver le fantôme de l’ami chinois de Tintin.
Avec cette grande entreprise d’exaltation tintinophile, le fondateur de la revue littéraire Raskar Kapac nous offre une superbe méditation sur l’amitié à partir de ce qui demeure sans doute l’album le plus personnel de Hergé, Tintin au Tibet. Tout au long de son récit, l’écrivain reprend à son compte la sentence du poète latin Ennius qui n’aurait pas déplu à Hergé : « C’est dans la nuit la plus noire que brille la lueur de l’amitié véritable. » Pour l’auteur qui croit mordicus en l’amitié et en ses preuves, Tintin nous oblige. Il faut être prêt à risquer sa vie pour ses amis. « Tintin, écrit-il, plutôt que de se morfondre dans une marche blanche avec nounours et bougies, va puiser en lui une énergie insoupçonnée qui fait pâlir la barbe ébène du capitaine Haddock. Il partira coûte que coûte pour retrouver son ami prétendument mort. »
Mais qui est donc ce Tchang Tchong-Jen, peintre et sculpteur discret, seul personnage réel avec Al Capone qui figure sous son nom dans l’œuvre d’Hergé ? Ce jeune Chinois qui apparaît en 1934, au moment où Georges Remi, alias Hergé, cherche à se documenter sérieusement sur la Chine, fait l’objet d’une émouvante biographie. Sa fille Yifei y fournit des détails d’une précision extrême qui traduisent l’esprit de son père. « J’ai pensé que cette histoire était presque un roman, dit-elle. Voilà deux artistes qui se sont rencontrés jeunes et qui sont devenus, chacun dans leur pays, des célébrités. Dans deux univers aussi extrêmes que l’Europe et l’Asie. »
À l’époque, le dessinateur du Petit Vingtième, supplément hebdomadaire destiné à la jeunesse du quotidien belge Le Vingtième Siècle, craint les amalgames et les maladresses. Hors de question pour lui d’offrir une vision caricaturale du Céleste Empire qu’on connaît si mal. Par l’entremise de l’abbé Gosset, aumônier des étudiants chinois de Belgique, et du père Pierre-Célestin Lou Tseng-Tsiang, ancien Premier ministre de la République de Chine, Hergé est mis en relation avec un brillant étudiant de l’Académie des beaux-arts de Bruxelles, un certain Tchang Tchong-Jen, né la même année que lui, en 1907, à Shanghai. Un lien qui, selon le souhait des ecclésiastiques, augurera « une possible œuvre de compréhension interraciale et de vraie amitié entre Jaunes et Blancs ».
Grâce à son ami, le regard d’Hergé sur la Chine change
Très vite, les deux hommes se lient d’une amitié sincère. Grâce à son ami, le regard d’Hergé sur la Chine change : « Depuis quelque temps déjà, en préparant mes histoires, j’ai été étonné des idées fausses que j’avais, et que des lectures m’ont fait réviser. Et je me découvre ainsi, petit à petit, une réelle admiration pour ce peuple et un vif désir de le comprendre et de l’aimer. » Les personnages chinois d’Hergé possèdent en effet une indéniable épaisseur et une profonde humanité. Les Occidentaux rencontrés par Tintin apparaissent souvent comme des profiteurs quand les autochtones, eux, brillent par leur respect, leur mesure et la sympathie qu’ils inspirent.
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D’ailleurs, les dangers que devra surmonter notre valeureux reporter seront le fait soit d’Occidentaux, comme dans le cas de l’inertie de l’armée britannique, soit de Japonais. Le jeune artiste chinois offrira à « Monsieur Hergé » une série de manuels afin d’apprendre le dessin traditionnel chinois. Une aubaine pour Hergé qui a pu prévoir dans ses bulles et ses cases la place nécessaire pour des idéogrammes chinois afin de donner de la crédibilité au récit. Dans une interview, il saluera l’utilité de ce précieux cadeau : « J’y ai puisé mon goût de l’ordre, mon désir de concilier minutie et simplicité, harmonie et mouvement. »
Un cœur pur sur les traces de Tintin au Népal, Maxime Dalle Herodios, 180 pages, 22 euros.
Le Lotus bleu, Hergé, Casterman, 144 pages, 23 euros.
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