Il est le favori pour remporter l’Oscar du meilleur acteur. Ce serait le deuxième pour Adrien Brody (qui a déjà gagné la fameuse statuette pour Le Pianiste en 2002, de Roman Polanski) en pole position face à des concurrents costauds (Timothée Chalamet, Colman Domingo, Ralph Fiennes, Sebastian Stan) pour son personnage poignant dans The Brutalist, de Brady Corbet.
Un drame qui retrace le destin chaotique de Laszlo Toth, architecte hongrois qui a survécu à la Shoah et s’accroche au rêve américain, entre espoirs et désillusions. Une fois encore, la star américaine, qui s’investit toujours corps et âme dans ses rôles, réalise une performance exceptionnelle. Qui lui vaut à ce jour 60 nominations et vingt victoires dans le cadre de la saison des prix. Et ce n’est pas fini ! Entretien sur Zoom avec le comédien de 51 ans, toujours aussi humble et sincère.
Le JDD. Que vous souhaite-t-on pour 2025 ? Une autre statuette ?
Adrien Brody. Merci ! J’éprouve énormément de gratitude car il m’arrive de belles choses en ce moment. Mais je prie pour qu’il y ait moins de souffrance dans notre monde ; je troquerais toutes les récompenses contre cela si je le pouvais. Je le pense sincèrement. On vit une période tourmentée, même dans l’industrie du cinéma, car j’ai beaucoup de collègues qui traversent une très mauvaise passe. Et pas seulement ceux qui ont tout perdu à cause des incendies de Los Angeles. J’ai par conséquent des difficultés à me réjouir complètement, mais je suis conscient de la reconnaissance et de la réussite que me procure le film, et de ce qu’a accompli Brady Corbet. Je l’accueille comme une bénédiction.
Lors de la cérémonie des Golden Globes, c’était important pour vous de saluer la mémoire de votre famille qui a fui l’Europe de l’Est durant la guerre pour démarrer une nouvelle vie aux États-Unis ?
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Un honneur de rendre hommage à son sacrifice et à sa résilience, partagés par des milliers d’autres survivants bien conscients du périple qu’ils ont effectué pour tout recommencer de zéro ailleurs. Je ne tiens rien pour acquis. Et je respecte immensément les libertés dont je jouis dans ma vie en Amérique ; il est toujours bon de rappeler la chance qu’on a. Donc cela avait du sens de dispenser ces considérations dans mon discours de remerciements, en présence de mes parents. Ma mère, une réfugiée hongroise, s’est beaucoup privée pour m’élever et pour que je ne manque de rien. Elle [Sylvia Plachy, photographe née à Budapest, NDLR] a apprécié mon personnage, l’architecte Laszlo Toth, car elle-même est une artiste qui appréhende son travail avec droiture et un désir ardent. Avec mon père [professeur de littérature à la retraite et peintre], elle m’a laissé la liberté de développer ma propre créativité dans un domaine très différent du sien, cela compte énormément pour moi. Je suis à la hauteur de leurs attentes et ils me soutiennent dans la voie que j’ai choisie. La route est encore longue pour les égaler.
« J’essaie d’honorer la complexité de la condition humaine »
The Brutalist traite du rêve américain. Vous en êtes l’incarnation vivante !
La vie est compliquée. Mais parfois les plus belles aspirations se concrétisent. Je me sens privilégié de bénéficier d’un tel statut aujourd’hui. Mon parcours n’a pas été de tout repos pour y parvenir ; j’ai enduré pas mal d’épreuves avant d’obtenir l’indépendance, le potentiel et les opportunités. Il y en a en Amérique, j’en suis la preuve. Il faut lutter et ne pas se décourager.
Avez-vous songé au Pianiste, de Roman Polanski ?
Il y a évidemment plusieurs parallèles entre les deux films, pourtant très distincts. Le compositeur polonais Wladyslaw Szpilman a échappé par miracle aux atrocités de la Seconde Guerre mondiale, qui a entraîné la mort de six millions de personnes. Je souhaitais restituer la façon dont il avait affronté l’adversité le plus fidèlement possible. Ma responsabilité était énorme de transposer l’histoire de son combat à l’écran. J’ai procédé à des recherches durant des mois pour comprendre les horreurs qu’il avait supportées. L’expérience est restée en moi et m’a donné la connaissance approfondie pour cerner Laszlo Toth, qui laisse tout derrière lui. Le traumatisme du passé affecte sa nouvelle vie : même s’il veut ardemment aller de l’avant, il ressent ce vide et cette douleur.
On évoque aussi la persistance de l’antisémitisme, qu’il continue de subir outre-Atlantique. Laszlo est en quelque sorte le prolongement de Wladyslaw des années plus tard ; tous deux s’inscrivent dans la même lignée symbolique. J’ai eu plus de liberté pour interpréter Laszlo, qui est un personnage de fiction, contrairement à Wladyslaw qui a vraiment existé. J’ai donc permis à mon imagination de créer tout entier Laszlo. Mais l’écriture était si formidable qu’il me paraissait bien réel, ancré dans son époque.
Êtes-vous prêt à tous les sacrifices pour un rôle ?
Oui, mais les implications étaient différentes pour The Brutalist : on n’avait pas le besoin ni le temps d’opérer une transformation physique radicale. Pour Le Pianiste, j’avais perdu beaucoup de poids [environ 15 kilos] pour avoir le corps très amaigri. Cette fois, ma préparation était davantage psychologique. Laszlo encaisse toutes sortes de violences. Je ne tournais pas une comédie ! (Rires.) J’essaie d’honorer et de représenter le mieux possible la complexité de la condition humaine, de jouer des individus devant des obstacles qui me sont inconnus, de me connecter à eux.
Parfois, le processus est périlleux et pas très plaisant, parce qu’on s’aventure en terrain hostile. Mais cela fait partie du boulot, il faut juste garder son cap. The Brutalist met en scène la persévérance et la quête d’excellence, même quand on vous a tout pris. C’est rare de côtoyer un personnage sur la durée. Au cinéma, on est trop souvent précipité dans l’histoire, pleine d’action et de rebondissements, sans réellement savoir avec qui on fait le voyage. Ce long métrage couvre trente années de la vie d’un homme, ce n’est pas rien.
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