Les Suisses ont répondu « non ». Ce dimanche 9 février, à 70 %, la population helvétique a rejeté une initiative référendaire des écologistes visant à inscrire dans la Constitution le respect des limites naturelles de la planète. Elle a jugé ce projet trop risqué pour l’économie et le mode de vie du pays. Le même jour, un sondage était publié dans La Tribune Dimanche : 88 % des Français veulent être consultés par référendum. Ce qui n’est plus arrivé depuis 2005 à l’échelle nationale.
Emmanuel Macron entend y remédier. Le chef de l’État a fait transparaître son intention le 31 décembre dernier lors de ses vœux : « En 2025, nous continuerons de décider et je vous demanderai de trancher certains de ces sujets déterminants ». Si le mot « référendum » n’a pas été prononcé, l’allusion n’a trompé personne. Depuis 2017, le président a déjà plusieurs fois lancé cette hypothèse sans pour autant qu’elle ne se concrétise. Mais aujourd’hui, son choix serait fait. Le référendum pourrait même être organisé au printemps selon le quotidien dominical.
Les 3 types de référendums en Suisse
En la matière, la Suisse semble être un contre-modèle total. Le référendum, appelé « votation », est profondément ancré dans la pratique politique. Il en existe trois types : l’initiative populaire, le référendum facultatif et le référendum obligatoire. Le premier a été utilisé 235 fois depuis 1894. « C’est un dispositif qui fonctionne très bien », assure François Garçon, historien franco-suisse et spécialiste de la vie politique helvétique. « Ça brasse très large. De la suppression de l’armée, au refus d’acheter des avions de combats américains, en passant par la semaine de 40 heures ou l’immigration. Presque aucun sujet n’est exclu », poursuit l’auteur de France, démocratie défaillante : il est temps de s’inspirer de la Suisse.
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Concrètement, il permet aux citoyens de proposer une modification totale ou partielle de la Constitution fédérale. Ceux-ci doivent récolter 100 000 signatures en 18 mois pour que leur projet aboutisse. Une fois ce processus validé, l’État a un an pour le soumettre à la votation populaire. C’est de cette façon que les Jeunes écologistes ont pu proposer d’inscrire le respect des limites naturelles de la planète dans la Constitution, dimanche dernier. Un dispositif similaire existe aux niveaux cantonal et communal.
De son côté, le référendum facultatif a été utilisé 211 fois depuis 1871. Il permet aux citoyens de contester une mesure, une norme ou une loi votée par des élus. Pour cela, il suffit de rassembler entre 1,5 et 2 % de la population concernée, au niveau fédéral, cantonal ou communal. Le référendum obligatoire est, lui, le plus ancien – datant de 1848 – et a été utilisé 240 fois au total. Certaines décisions doivent forcément être soumises à la votation populaire par ce biais. Par exemple, quand le Parlement souhaite modifier la Constitution.
Globalement, les Suisses ne semblent pas mécontents de leur pratique démocratique. D’après un sondage publié en février dernier, 76 % de la population est plutôt, voire très satisfaite du système de démocratie directe. « Ce qui est aussi important à noter, c’est que le référendum est impératif en Suisse. Si les citoyens votent en faveur d’une chose, celle-ci doit obligatoirement s’appliquer. On ne peut pas dire que les gens se sont trompés et passer outre leur choix », souligne l’historien François Garçon, contrairement à ce qu’il s’est passé en 2005 en France, à l’occasion du traité constitutionnel européen, rejeté à 54,7 %. Trois ans plus tard, le traité de Lisbonne, reprenait la majorité des mesures refusées par les Français et entrait en vigueur.
« Quand on cumule les sondages, on voit que les Français souhaitent un système similaire »
De quoi envier le modèle suisse dans l’hexagone ? « Quand on cumule les sondages, on voit effectivement que les Français souhaitent un système similaire », assure l’analyste d’opinion Paul Cébille. Pourtant, en 2019, Emmanuel Macron affirmait que « le modèle Suisse est inadapté à la France ». Le président en voulait pour preuve : « On n’est pas du tout fait pour ça. Je crois aux identités profondes des peuples. La France n’est pas la Suisse et la Suisse ne marche pas aussi bien qu’on le pense ». Un argument balayé par Paul Cébille : « Le peuple suisse n’est pas le “peuple de Dieu », comme l’évoquait Rousseau ». Avant d’ajouter : « Leur système est simplement bien rodé. Et les citoyens n’ont pas de défiance envers celui-ci comme c’est le cas en France ».
Si le référendum est évoqué comme remède à la crise politique française, faudrait-il encore savoir quelle question posée. Selon le baromètre Ipsos-École d’ingénieur Cesi pour La Tribune Dimanche, aucun sujet ne se détache particulièrement. Les Français sont par exemple favorables à 84 % à une consultation sur la fin de vie, à 78 % sur le niveau et la répartition des dépenses publiques et de la fiscalité, à 74 % sur l’immigration, également à 74 % sur le travail, ou encore à 60 % sur la mise en place de règles d’utilisation des réseaux sociaux pour les enfants.
Un référendum sur l’immigration « serait une bonne idée », abonde le spécialiste de la politique suisse François Garçon, même s’il avoue ne « pas y croire ». En Suisse, plus d’une dizaine de référendums sur le sujet via l’initiative populaire ont été soumis à la population. « C’est parce qu’il y a régulièrement eu des questions sur la présence des étrangers dans le pays que le gouvernement et les élus ont agi pour que ce sujet ne devienne pas explosif », explique l’auteur franco-suisse. Cependant, en France, la Constitution limite drastiquement l’étendue des sujets sur lesquels les Français peuvent être consultés. L’article 11 – qui permet l’utilisation du référendum – ne mentionne pas l’immigration. Il faudrait donc, au préalable, modifier cet article pour y insérer la question migratoire.
Trop plébiscitaire ?
Un défaut souvent pointé est l’aspect « plébiscitaire » du référendum. L’exemple régulièrement donné est la consultation constitutionnelle du général de Gaulle en 1969. Elle portait sur la réforme du Sénat et la régionalisation. Les Français l’ont alors rejeté à 52,41 %, ce qui a précipité la démission de l’homme du 18 juin. « Ce n’était pas si clair que ça », assure de son côté l’analyste d’opinion Paul Cébille. « Les Français ne voulaient pas des réformes proposées, donc on ne sait pas s’ils ont voté non aux réformes ou non à de Gaulle. D’autant plus que le président était populaire à ce moment », poursuit-il. « En revanche, le fait que seul le président puisse organiser un référendum à l’échelle nationale est problématique », pointe ensuite l’ancien analyste opinion à l’Ifop.
C’est également ce que regrettaient les Gilets jaunes. En conséquence, ils plaidaient pour l’instauration du référendum d’initiative citoyenne (RIC), à l’image de l’initiative populaire en Suisse. S’il n’a pas vu le jour, son cousin, le référendum d’initiative partagée (RIP), existe depuis 2008. Mais il est souvent critiqué pour l’impossibilité de sa mise en œuvre. Il doit être soutenu par un cinquième des membres du Parlement, puis être signé par au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit près de 5 millions de personnes. Et ensuite, rien ne dit qu’il sera réellement voté à l’Assemblée nationale et au Sénat.
En attendant un potentiel futur référendum – d’initiative partagée ou présidentielle – en France, certaines dates des prochaines votations en Suisse sont déjà connues. L’une, sur les relations bilatérales avec l’Union européenne, pourrait avoir lieu courant 2026. La même année, une autre sur l’immigration pourrait aussi être soumise au vote.
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