À la veille du sommet international consacré à l’intelligence artificielle, le Macron communicant ressort de sa boîte. Sur le mode décalé, de l’autodérision, de la provocation, il livre une vidéo parsemée de deep fakes le moquant dans différentes séquences. Macron assume la caricature, le détournement d’image, et ce faisant, il dévisse encore plus la statue présidentielle, l’exigeante gravité qu’elle requiert dans un moment de très grand doute, d’incertitude existentielle, de besoin de repère stable.
Cette subversion par le haut est en soi l’aveu final que rien ne va plus au sommet de l’État. À moins qu’elle ne dise aussi que le temps de l’intelligence artificielle auquel le président entend préparer la France est celui d’un monde où l’homme ne sera plus que l’agent manipulable d’une force qui le dépasse, non pas pour le transcender mais pour l’instrumentaliser. L’avènement de l’homme-pantin bien plus que celui de l’homme-maître de sa destinée.
Cet instant de communication a quelque chose d’artificiel aussi politiquement : il vise à réinstaller l’hôte de l’Élysée dans la lumière, alors que le rapport de force issu des dernières élections législatives a minoré la puissance de feu présidentielle, non pas dans une cohabitation, mais dans une sorte d’érosion continue de son poids car tout se joue principalement désormais dans un « bargaining » (marchandage) incessant entre Matignon, minoritaire, et une Assemblée majoritairement d’opposition.
La France de Macron n’est pas celle des Trente Glorieuses
S’adossant à une manifestation planétaire consacrée à la technologie, Emmanuel Macron s’arroge le monde et l’avenir comme marqueurs de sa mission. Aux autres l’ancillaire, à lui le futur, en quelque sorte. Pour autant, il se rappelle à nous comme ses enfants au coin qui persistent à vouloir faire les « intéressants » nonobstant la punition que des adultes leur ont infligés. Le coup de com’ est permanent mais il est usé, pour ne pas dire contre-productif, car il interroge sur le rapport du président au réel des Français.
La suite après cette publicité
Est-ce le moment, non pas de parler de l’avenir, mais d’en porter les enjeux avec une désinvolture dont l’insondable légèreté contraste avec les anxiétés d’une société brinquebalée par toutes les insécurités, toutes les colères accumulées, toutes les précarités. La France de Macron n’est pas celle des Trente Glorieuses ; elle est d’abord soucieuse et souvent malheureuse, loin d’avoir foi dans un horizon qu’on lui présente comme irénique mais dont elle pressent, à tort ou à raison, qu’il sera d’abord angoissant.
Il y a quelque chose de vertigineux dans cette nouvelle expression élyséenne : elle rajoute de l’instabilité à un présent inévitablement et structurellement perçu comme instable. Là où le président devrait rassurer, s’élevant au-dessus d’un jeu partisan dont on ne sait pas quelle est la visibilité et la durée, il confirme qu’il est le grand déconstructeur d’un pays qui n’a jamais mieux existé que lorsqu’il était vertébré par le tuteur de la sacralité. Ainsi, il entretient le soupçon d’irresponsabilité qui ne cesse de miner sa légitimité, oubliant qu’un pouvoir qui se relâche symboliquement est un pouvoir qui s’affaiblit toujours plus…
*Arnaud Benedetti est professeur associé à la Sorbonne et auteur de « Aux portes du pouvoir – RN, l’inévitable victoire ? » (Michel Lafon).
Source : Lire Plus