Le skipper du monocoque Charal 2 a terminé fin janvier au pied du podium (4e) de la dixième édition du tour du monde à la voile en solitaire, sans escale ni assistance, remportée par Charlie Dalin. En exclusivité pour le JDD.fr, Jérémie Beyou a pris le temps de raconter son retour à terre, entre satisfaction d’avoir bouclé le Vendée Globe (en 74j 12h 56m 54s) et frustration de n’avoir jamais pu lutter pour la victoire.
Lors de ses deux premières participations, le Breton avait abandonné (2008 et 2012). En 2016, il avait pris la 3e place. Lors de la précédente édition, en 2020, il avait rebroussé chemin peu après le départ pour réparer (collision avec un objet flottant) et avait fini en 13e position.
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« J’avais hâte que ça s’arrête tant le sprint final a été intense. Il y a [eu] une extrême fatigue pour remporter la bagarre pour la quatrième place et il y a [eu] une énorme satisfaction d’avoir fini devant le peloton de poursuivants, de revenir aux Sables, de passer le chenal, de retrouver ceux qu’on aime, son sponsor etc. Le bateau est une caisse de résonance au sens propre. C’est-à-dire que les vagues, les voiles, tout résonne, tous les bruits sont amplifiés et ça fait mal aux oreilles. Mais c’est aussi une caisse de résonance mentale et psychologique : quand on est dans la course et qu’on voit le podium nous échapper, la frustration est démultipliée.
Maintenant, ça reste une quatrième place et un tour du monde abouti en solitaire. Il ne faut pas le galvauder. Boucler la boucle en totale autonomie, ce n’est pas rien. C’est même un chalenge technique et humain colossal. Il faut être fier de cette quatrième place. Avec du recul, terminer dans les dix premiers, vu le niveau actuel, c’est un très beau résultat.Lors du Vengée Globe 2020/21, j’étais rentré aux Sables et reparti neuf jours après tout le monde. J’avais fait la course à mon rythme, je n’avais pas de concurrents directs. Cette fois-ci, j’ai été sous pression avec des concurrents en visuel du début à la fin. On a l’habitude de faire ça sur des régates d’une journée ou de quelques jours. Là, le faire durant 75 jours, c’est un truc de fou ! Il faut être capable de soutenir ce rythme sans défaillir. Mes concurrents sont dans le même état que moi, ils n’ont jamais vécu ça !
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Je ressens encore la fatigue physique parce qu’il me manque des muscles. C’est comme rester alité à l’hôpital pendant plusieurs semaines, il te manque des cuisses et quand tu marches, ça fait mal. Lorsqu’on franchit la ligne d’arrivée, tout d’un coup, on a mal au dos, à la tête, aux mains, autant de douleurs qu’on supportait avec l’intensité de la course et qui nous tombent dessus. Même si je dors très bien la nuit, j’ai des gros coups de pompe durant la journée. La charge mentale a été tellement forte qu’une phase de décompression va forcément arriver. Il va falloir la gérer.
Pour l’instant, je suis encore à fond car je suis heureux de raconter ma course et de répondre à tous les gentils messages de félicitation. Je prépare aussi la saison prochaine avec mon équipe. Quand tout va cesser et que je vais partir en vacances en famille, j’ai peur que la décompression fasse un petit peu mal. Elle est inévitable. Il faut passer par là. Avec l’expérience, je pense que je suis capable de gérer, même si ce n’est pas facile. J’ai des copains qui sont fusiliers marins. Ils effectuent des missions de plusieurs mois à l’étranger. Quand ils rentrent, ils ressentent ce blues.
Chez les militaires, les soldats ne retournent d’ailleurs généralement pas directement chez eux afin de gérer cette période de décompression. Vous me demandez si j’ai envie de repartir ? En 2021, quand je suis arrivé, je me projetais déjà dans le Vendée Globe suivant, mais la course avait été particulière. Là, j’ai été à la bagarre jusqu’au bout pour la quatrième place et j’aurais aimé que ce soit pour la première. Donc oui, ça me donne énormément envie d’y retourner. Il n’y aurait que la course, je vous dirais oui tout de suite ! Mais il y a une préparation de quatre ans qui est intense. Cette discussion-là, je dois l’avoir avec ma famille, avec mon partenaire et avec mon équipe pour voir dans quelles conditions, on a envie ou pas de refaire une telle préparation. Il faut prendre le temps. »
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