« Un ministre ça démissionne ou ça ferme sa gueule. » Passée à la postérité, la fameuse phrase de Jean-Pierre Chevènement à la sortie d’un conseil des ministres en février 1983, n’a pas pris une ride. Souvenons-nous qu’à l’époque, le « Che » avait fini par claquer la porte du gouvernement Mauroy un mois après sa déclaration tonitruante.
Depuis cette période, nombreux sont les ministres qui ont usé de la citation pour faire passer un message très explicite comme ce fut le cas en 2013 lorsque le ministre des relations avec le Parlement, Alain Vidalies, lança la célèbre formule pour rappeler à l’ordre les troupes dissidentes menées par Arnaud Montebourg. Aujourd’hui, même si elle est toujours d’actualité, cette sentence doit être adaptée à la situation singulière du ministre de l’Intérieur.
Retrouvez toutes les chroniques de Sonia Mabrouk
Bruno Retailleau a en effet réinventé la maxime chevènementiste, lui préférant une version plus personnelle : un ministre ça ne démissionne pas et ça ouvre sa gueule. C’est exactement ce qu’il a fait après le coup dur autour de l’annulation de l’OQTF et de la remise en liberté du propagandiste de haine Doualemn.
Chose très rare, le premier flic de France a même mis en scène l’échec de son action et de ses services en prenant à témoin l’opinion publique à la télévision. Jamais l’impuissance du politique n’avait été à ce point mise en lumière par le politique lui-même devant la prééminence du droit. Bien sûr, les ministres ne sont pas au-dessus de la loi, mais il est frappant de constater combien ils sont en réalité totalement désarmés par un contre-pouvoir devenu super-pouvoir.
La suite après cette publicité
Dans ce feuilleton qui ressemble de plus en plus à une affaire de cornecul, la justice administrative a fait un bras d’honneur à la mission du politique et par la même occasion à l’intérêt général. Le régime algérien n’a même plus besoin de trouver mille artifices pour ne pas reprendre ces ressortissants sous OQTF, une partie des juges français se charge de cette mission à sa place.
Jamais l’impuissance du politique n’avait à ce point été mise en lumière
Face à une telle situation, deux possibilités s’offraient alors au ministre de l’Intérieur. La première consistait à convoquer une conférence de presse pour acter de l’impossibilité d’agir. Bruno Retailleau aurait ainsi pu reprendre à son compte le fameux nœud démocratique de Marcel Gauchet. Face à une crise aussi profonde de notre démocratie, j’imagine les mots qu’il aurait pu prononcer face à la presse : « L’heure est grave. En prenant mes fonctions il y a quelques mois, j’ai promis de tout faire pour répondre aux aspirations des Français qui, de sondages en sondages, réaffirment leur envie d’ordre et d’autorité. Aujourd’hui, je suis dans l’obligation de constater que je ne dispose pas de ce pouvoir. Mon action est entravée par certains juges, confisquée par la primauté des normes européennes et sans cesse attaquée par une partie de l’Assemblée nationale qui me voit comme un ennemi. Pour toutes ces raisons, je vous annonce que je viens de remettre ma démission au Premier ministre. À partir de ce jour, je suis libre de poursuivre mes objectifs et mon parcours comme je l’entends. Dès demain, je réunirai mes soutiens pour lancer un mouvement au service des Français. Parce que je refuse de céder à la fatalité, parce que les droits de l’individu ne peuvent pas s’imposer de cette façon aux intérêts de l’État, j’ai décidé de me battre auprès de vous, avec vous et pour vous. »
En agissant ainsi, Bruno Retailleau aurait pû poser un acte fondateur et mettre à distance l’éternelle guerre des chefs à plume de droite en les prenant tous de court. Mais il a préféré ne pas le faire, pour l’instant. En politique tout est affaire de moment. Il ne faut pas se précipiter mais il ne faut pas non plus trop s’accrocher à la barre du bateau au risque de sombrer avec l’équipage. Partir ou rester, Bruno Retailleau est à l’heure du choix. Il faut décider avant que le nœud démocratique ne devienne un nœud coulant.
Source : Lire Plus