Un grand marbre où il donne des cours, une assiette de guimauves encore à l’essai, des cakes moelleux à se damner : nous sommes bien chez Yann Couvreur ! Chef pâtissier passé par le Burgundy, le Park Hyatt Paris-Vendôme ou encore l’Orient-Express avec Yannick Alléno, il propose aujourd’hui ses pâtisseries dans quinze boutiques, de Paris à Miami.
Les « flan boys » le connaissent pour son flan à la texture si crémeuse, ses compatriotes bretons ont salué son kouign-amann au blé noir et son paris-brest dressé comme un phare (sans pruneau), les Émiratis deviennent à leur tour des « pistache lovers » : pour le prodige prodigue, la pâtisserie n’est jamais aussi bonne que quand tout le monde a une part !
Le JDNews. Comment définiriez-vous le style Yann Couvreur ?
Yann Couvreur. Le naturel sans chichis. On travaille sans artifice, donc pas de colorants, pas de feuilles d’or, pour être plus efficace en goût, avec un style minimaliste et généreux. J’aime dire que je fais du haut de gamme parce que je m’applique. Cependant, la pâtisserie doit être accessible à tous. On est dans une période compliquée mais ça ne doit pas être une excuse pour gonfler nos prix ou donner de mauvaises conditions à nos employés.
« Je n’ai plus un désir égoïste de créer, j’essaie d’inventer une ambiance familiale, un climat où l’on peut s’épanouir »
Ça peut paraître évident, mais notre métier a beaucoup changé. Aujourd’hui, on essaie de rendre la profession éthique : c’est une très bonne chose. L’effet est en plus excellent pour le recrutement : la marque est forte, donc elle attire les meilleurs talents. Je n’ai plus un désir égoïste de créer, j’essaie d’inventer une ambiance familiale, un climat où l’on peut s’épanouir.
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Arrivez-vous à vous fournir en matières premières partout dans le monde ?
Contrairement à un cuisinier, nous, les pâtissiers, travaillons des matières basiques et souvent sèches, qui voyagent bien. Prenez la farine : on trouve toujours quelqu’un qui la travaille bien, il faut juste la sourcer et regarder comment elle réagit. Aux États-Unis, je trouve qu’on fait un meilleur croissant qu’à Paris, par exemple. Pourquoi ? En raison de la farine locale.
Dans les modes de consommation et les produits, y a-t-il des différences, de Miami à Dubaï ?
Il y a des façons de consommer différentes dans toutes les cultures. À Miami, on a un restaurant. Dans le Golfe, ce sont des centres commerciaux avec des boutiques culinaires. Et puis à Paris, ce sont des pâtisseries traditionnelles, un mode de consommation vraiment français quand, ailleurs, on s’attable plutôt qu’on emporte un gâteau chez soi. Notre rôle a été de s’adapter à ces manières de consommer, en gardant la même exigence sur la qualité des produits. Avoir un labo, un logo, des packagings ne suffit pas, il faut prouver chaque jour notre exigence, pour pouvoir ensuite se développer.
Concrètement, comment vous y êtes-vous pris pour garder cet ADN ?
Déjà, il faut être convaincu par ce qu’on fait. Il faut aussi ne pas déroger à notre façon de concevoir les gâteaux : cahier des charges précis, approche artisanale, style minimaliste. Il n’y a jamais une étiquette sur nos gâteaux et malgré tout, on nous reconnaît. C’est bon signe !
Comment avez-vous conduit cette stratégie à l’étranger ?
La pâtisserie française a une excellente réputation à l’étranger. En réalité, ce sont des sollicitations qui m’ont poussé à passer le cap. Je n’avais pas prévu de m’exporter si tôt, mais sans regret !
Et en France, comment envisagez-vous votre développement ?
On réfléchit au bon modèle. Le marché français n’est pas évident : on est dans un pays en difficulté. Malgré tout, on a ouvert quatre boutiques en 2024. On se prépare à un développement en province mais il est un peu tôt pour tout divulguer.
« C’est une discipline accessible à la maison, un métier qui n’en est pas un »
D’où vient l’intérêt des Français pour la pâtisserie ?
C’est une discipline accessible à la maison, un métier qui n’en est pas un. La frontière entre l’amateur et le pro est parfois mince. Aujourd’hui, on peut faire des gâteaux chez soi et avoir de superbes success stories. Et puis il y a les pâtissiers qui ont des boutiques et des employés. C’est un autre schéma.
Imaginiez-vous en arriver là ?
Bien sûr que non. Je suis rentré dans ce monde par passion, parce qu’il fallait que je gagne ma vie et parce qu’en face de la librairie de mon père, il y avait un pâtissier. Il m’a pris en stage, j’y suis allé à reculons. Et puis j’ai eu la chance d’intégrer des maisons dans de très beaux hôtels qui m’ont appris le métier de la belle façon : on touche des produits magnifiques, on prend le temps de bien les façonner. C’est comme ça que j’ai pris goût aux belles choses. Ce qui m’intéresse, c’est de faire et bien faire : si j’avais été menuisier, j’aurais voulu être ébéniste.
Et dans vingt ans ?
On verra ! Je ne suis pas un de ces chefs d’entreprise avec une vision à long terme et je suis déjà content d’être là. Les pâtisseries qui traversent les époques ne sont pas nombreuses et le Covid a mis fin à de très grandes marques : Fauchon, Pouchkine… Alors je reste vigilant. Les pâtissiers doivent prendre le pouls de la société, essayer de comprendre comment elle vit.
Et si vous prenez le pouls aujourd’hui, que sentez-vous ?
Je sens une France malade à tous les niveaux. Et, comme je m’évertue à être le pâtissier le plus accessible possible, j’essaie d’être malin pour proposer une offre raisonnée. J’aime bien qu’il y ait toutes les strates sociales qui viennent chez moi. Je ne me réserve pas à une élite, je veux être le pâtissier de tout le monde. C’est ma vocation. Si j’ouvre tant de boutiques, c’est une démarche cohérente.
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