À 44 ans, il est un des nouveaux maîtres de l’horreur. Le réalisateur et scénariste américain Ti West s’est imposé avec la trilogie désormais culte X (2022), Pearl (2022) et MaXXXine (2024), qui a hissé au rang de star la singulière et vénéneuse Mia Goth.
Logique que le 32e Festival international du film fantastique de Gérardmer ait voulu saluer la carrière de ce cinéaste inclassable, résolument provocateur, qui creuse son sillon sans céder aux compromis. Entretien avec la nouvelle sensation de Hollywood.
Le JDD. Que pensez-vous de cet honneur ?
Ti West. Je suis juste content d’être là ! J’ai passé l’été dernier à Paris, à l’occasion de la sortie de MaXXXine. Je n’y avais pas séjourné depuis 2005, j’avais alors 25 ans. À ce moment-là, je balbutiais dans le métier. Le fait de revenir en ayant mis en scène déjà dix films était très cool, j’avais l’impression de n’avoir pas gâché mon temps. Je me dis que j’ai de la chance. Les deux seules fois où la trilogie a été projetée dans son intégralité, c’était en France, à Paris et à Gérardmer ! Le seul pays au monde qui a organisé ce type d’événement, je lui en suis très reconnaissant. J’essaie de profiter à fond du moment présent, je ne regarde pas en arrière pour cogiter sur les erreurs que j’ai pu commettre.
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Pourquoi avez-vous choisi l’horreur pour vous exprimer artistiquement ?
Je ne sais pas vraiment, j’ai toujours aimé le genre en particulier pendant ma jeunesse car c’était tabou, quelque chose qu’on m’interdisait. Je n’avais personne dans ma famille liée à l’industrie du cinéma, qui me semblait impénétrable. J’ai grandi à Wilmington, dans le Delaware, pas très loin de Philadelphie. Je vivais en banlieue, où l’accès à l’art et à la culture était limité. Mon père travaillait dans l’immobilier et ma mère dans la boutique de cadeaux d’un hôpital. Ils n’étaient pas de nature créative. Devenir réalisateur ne me paraissait pas du tout réaliste.
Au départ, je m’imaginais faire partie d’un groupe de musique car je jouais de la guitare. Je suis parti à New York à l’âge de 18 ans et j’ai rencontré Kelly Reichardt, qui m’a présenté pas mal de gens. J’ai bossé dur pour parvenir à mes fins. J’ai aussi bénéficié de l’engouement pour les auteurs indépendants qui s’est développé à l’époque, je suis arrivé au bon moment.
J’ai appris des meilleurs, dont Sam Raimi qui compte beaucoup pour moi, Peter Jackson et Martin Scorsese
L’horreur me plaisait car je n’avais pas besoin d’un budget conséquent ou d’acteurs connus, par conséquent elle m’était accessible d’un point de vue pratique et j’avais la possibilité d’expérimenter. Je croyais que pour tourner il fallait être nécessairement à Hollywood. J’ai compris que je pouvais descendre dans la rue avec ma caméra. Cela m’a inspiré et accordé la liberté qui me manquait. J’ai donné vie aux images qui se bousculaient dans ma tête, dont je me disais qu’elles séduiraient sans doute le public. Les longs métrages se sont succédé de façon naturelle, j’y ai greffé toutes mes préoccupations. J’ai commencé à en écrire pour compenser un manque : l’absence de danger et de prise de risques dans les histoires. Celles que je voulais voir n’existaient plus.
Êtes-vous nostalgique ?
Probablement. Je souhaitais apporter un regard neuf et frais sur la représentation de la violence et du sexe au cinéma. L’horreur entretient une relation symbiotique avec la pornographie, car tous les deux sont pris de haut par les professionnels de l’industrie, ils demeurent à la marge et n’ont pas besoin de Hollywood pour exister. J’aime tout ce qui est vintage ou rétro, L’Exorciste (1973), de William Friedkin, et Shining (1980), de Stanley Kubrick. Je suis ravi de constater l’engouement de nos jours pour le genre, même si ce succès commercial m’effraie.
Il ne faut pas une uniformisation des propositions, mais toujours garder son originalité et repousser les limites en ne craignant pas d’être politiquement incorrect. Je me réjouis du triomphe de Coralie Fargeat et de The Substance, car on ne s’attendait pas à un body horror qui aille aussi loin. Parfois, le public est réceptif. Cela ouvre des perspectives excitantes. Ou pas ! On doit en profiter quand ça nous tombe dessus. J’ai tourné X et Pearl en même temps, j’ai été abasourdi de constater qu’ils sont devenus cultes de manière instantanée. Je n’ai aucune explication à vous fournir. En six mois, ils étaient considérés comme des classiques, je n’en reviens toujours pas.
Peut-être parce que votre approche est sincère, notamment en utilisant des effets spéciaux artisanaux ?
Sans doute. X symbolisait aussi le retour du slasher au cinéma et le public se sentait décomplexé d’y prendre beaucoup de plaisir. Je pense qu’il est fatigué de toutes ces images de synthèse, rien de tel que de mettre les mains dans le cambouis ! À cela s’ajoute la performance multifacettes de Mia Goth, phénoménale et très rock’n’roll. Je ne me suis pas bridé ni censuré, j’ai coupé des scènes si j’estimais qu’elles n’avaient pas leur place dans le récit. J’ai appris des meilleurs, dont Sam Raimi qui compte beaucoup pour moi, Peter Jackson et Martin Scorsese. Je regrette de ne pas avoir connu David Lynch. Mes parents continuent de me soutenir, ils ont vu mes films et, je vous rassure, ils ne sont pas traumatisés. [Rires]
En profitez-vous pour exorciser vos peurs les plus intimes ?
Mais oui ! En voyant X, on découvre que vieillir n’est du tout pas fun ! [Rires] On se rend compte qu’on referme certains chapitres de l’existence et qu’on passe aux suivants. On n’a pas forcément exaucé ses rêves d’enfance, et on vit hanté par les remords. Dans Pearl, il est question de s’investir à fond dans un domaine et de s’apercevoir qu’on n’est pas forcément bon et qu’on est rejeté. Enfin, quand on arrive à tutoyer le succès à Hollywood et à être accepté comme dans MaXXXine, il faut bien prendre garde de ne pas tout perdre en un claquement de doigts.
Envisagez-vous un quatrième épisode ?
Trois, c’est probablement suffisant. Je ne dois pas céder à la pression. J’aurais peut-être une bonne idée pendant vingt minutes, mais le reste serait plein de vide pour tenter de plaire aux fans avec un nouveau long métrage. Je ne trouve pas la démarche particulièrement inspirante en tant que metteur en scène et cela accoucherait sur rien de bon. J’ai fait d’autres films avant et ce sera le cas après, du moins je l’espère ! La seule appréhension que j’ai ressentie ?
La sortie de MaXXXine, très attendu, alors que X et Pearl avaient été tournés dans le plus grand secret. Impossible désormais de me cacher. Pour la suite, certains spectateurs seront ravis et d’autres probablement déçus. On ne peut pas satisfaire tout le monde. J’écris actuellement, je ne peux pas encore en parler. J’ai plusieurs projets en cours, dont un qui coûterait très cher avec un grand studio. Je ne m’emballe pas…
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