Présent dans le Sud-Liban depuis plus de trois mois, le colonel Geoffrey de Hauteclocque commande la Force Commander Reserve (FCR). Cette dernière est un groupement tactique d’intervention rapide, binational, composé de 700 militaires français et d’une centaine de Finlandais. Entre les murs du camp onusien de Deir Kifa, le gradé explique au JDD que « la FCR a vocation à intervenir dans toute la zone des opérations du sud du Liban afin d’observer le respect du cessez-le-feu ». C’est dans ce contexte délicat qu’il a accepté de répondre à nos questions.
Le JDD. Le 22 janvier dernier, trois Casques bleus finlandais de la Finul ont été légèrement blessés après une explosion dans une zone où opéraient les forces armées israéliennes. Quelle a été votre réaction en tant que responsable de ces hommes ? Avez-vous des précisions à apporter ?
Geoffrey de Hauteclocque. Les blessures étaient légères et ces soldats ont pu reprendre les patrouilles à un rythme normal. Je n’ai pas beaucoup de précisions à ajouter, mais il est important de rappeler que nous évoluons dans une zone tampon. Cette dernière se situe entre la ligne Charlie, qui marque aujourd’hui la démarcation avec les forces de défense israéliennes, et la ligne bleue, qui correspond à la frontière établie. C’est une zone de friction : il n’y a pas de confrontation directe, mais différents acteurs sont présents, notamment les Forces de défense israéliennes, les Forces armées Libanaises (FAL) et la population locale.
La collaboration et le travail en commun sont donc essentiels. Concernant l’incident, les forces de défense israéliennes poursuivent la destruction des munitions du Hezbollah qu’elles découvrent. Le 22 janvier, une patrouille se trouvait à proximité lors de l’explosion, mais étant sous blindage, elle n’a subi que des effets limités.
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Au début de l’offensive terrestre israélienne du 1er octobre, des spécialistes disaient que la mission de la Finul n’avait plus d’intérêt. Que répondez-vous à ces critiques aujourd’hui ?
Tout d’abord, la Finul reflète avant tout la volonté de la communauté internationale. La résolution 1701 a d’ailleurs été votée à nouveau cet été et reconduite dans les mêmes termes. Ensuite, la Force évolue et s’adapte au contexte. Certains avaient parié sur son retrait dès l’offensive israélienne. Mais la tenue ferme des positions des contingents de la Finul a fait mentir ses détracteurs et renforcé sa crédibilité. Et c’est bien cette tenue des positions qui permet aujourd’hui à nos Casques bleus d’être le rouage essentiel du déploiement actif des FAL dans les zones dont Tsahal se retire.
« La Finul est restée malgré de fortes pressions »
À l’automne dernier, alors que des Casques bleus étaient directement pris à partie par Tsahal, la Finul était-elle sur le point de craquer ?
Pas du tout. La Force est restée malgré de fortes pressions exercées par les Israéliens. La cohésion de l’ensemble des contingents de la Finul sur le terrain et le soutien appuyé de la communauté internationale ont été une affirmation de notre détermination collective. C’est en soi une victoire. Une autre victoire est aujourd’hui la contribution de la Finul à la dynamisation des forces armées libanaises et le rôle essentiel qu’elle prend dans le mécanisme franco-américain facilitant le dialogue. Sans la Finul, je pense que les dégâts auraient été bien plus importants. Sa simple présence a permis de contenir cette poussée israélienne.
Quel est votre rôle, en tant que commandant de la FCR ?
En tant que chef, ma priorité est avant tout que mes hommes soient en bonne santé et capables d’accomplir leurs missions. Ensuite, il est essentiel pour moi de mener à bien cette mission. Cela implique de garantir une certaine liberté d’action et de mouvement dans le sud du Liban. Cela demande constamment de trouver un équilibre entre la prise de risques assumée et le processus de décision : faut-il y aller ou non ?
Depuis le sud du Liban, au cœur de cette zone de friction, êtes-vous en contact régulier avec les Forces armées libanaises (FAL) ou les soldats israéliens ?
La FCR n’est pas directement au contact des soldats israéliens. Ce n’est pas le rôle de la FCR d’entretenir ce lien. Ce cadre relève de la Finul, qui est notre employeur opérationnel. Au sein de la Finul, il existe une structure appelée « Liaison Branch », un bureau chargé de faire le lien entre Israël et le Liban. Ce rôle de coordination offre un contact permanent entre les différentes parties, et il est important de souligner que seule la Finul peut assurer cette fonction dans la région.
C’est-à-dire ?
Aujourd’hui, dans cette partie du monde, je vous mets au défi de trouver quelqu’un qui permet à des Libanais de parler avec des Israéliens. C’est là tout le rôle essentiel de la Force intérimaire des Nations unies au Liban.
La Finul fait-elle face à des restrictions imposées par les armées libanaises, israéliennes, ou encore par le Hezbollah, qui est très présent dans la région, pour se déplacer ?
Tout d’abord, nous ne parlons pas avec le Hezbollah, c’est une certitude. Ensuite, la Finul reste maîtresse de ses décisions, même si tout est coordonné. On ne peut pas vraiment parler de restrictions. Cela dit, si les Israéliens ou les FAL mènent des opérations dans une zone, nous nous adaptons en conséquence. Mais au final, c’est toujours la Finul qui décide. Personne ne lui donne d’ordre, excepté à New York.
Au quotidien, quels risques encourent les 800 Casques bleus que vous dirigez dans le sud du Liban ?
Les risques sont assez évolutifs. Depuis plus de trois mois que je suis en poste, nous avons traversé plusieurs phases. La première s’est déroulée dans toute la zone des opérations de la Finul, y compris à proximité de notre camp de vie. Il existait alors un risque réel de se retrouver pris dans les combats, que ce soit par des tirs directs ou indirects.
La deuxième phase a débuté après le cessez-le-feu du 26 novembre, avec le retour des populations dans une zone qui était jusque-là quasi déserte. Pourtant, les opérations n’étaient pas totalement terminées. Les forces israéliennes ont poursuivi des « nettoyages », car la région est un véritable « gruyère » d’armes des combattants du Hezbollah. C’est un champ de bataille où il reste toujours un risque de tomber par hasard sur des munitions non explosées.
« Les Forces armées Libanaises sont des troupes aguerries »
Pouvez-vous nous donner des explications sur ce « gruyère d’armes » ?
C’est assez édifiant quand on est face à la chose. Le Hezbollah avait mis comme ligne de défense des tranchées, beaucoup de tunnels, des mines, etc. Lorsque l’on parle de guerre de haute intensité, c’est vraiment ce que c’était.
Vous êtes présent dans le pays depuis trois mois. Quelle est votre analyse sur le redéploiement des troupes libanaises, qui est une disposition de l’accord de trêve conclu entre Israël et le Hezbollah ?
Cela s’est fait très rapidement. Le redéploiement a été quasiment immédiat après le cessez-le-feu. Ils ont d’abord lancé une phase de sécurisation de la population pour éviter qu’elle ne s’aventure dans des zones dangereuses. Depuis, les FAL ont progressivement repris leurs positions et leurs postes qui ont pourtant été détruits. Ils ont désormais commencé à relever de véritables défis sur le terrain, notamment en recherchant l’armement du Hezbollah. Ils sont clairement montés en puissance.
À quel niveau jugez-vous les Forces armées libanaises ?
Ce sont de bonnes troupes aguerries, avec une solide expérience du terrain. Leur proximité géographique avec la Syrie les a confrontées à de nombreuses problématiques au fil des années, ce qui les rend très efficaces. D’ailleurs, quand les FAL opèrent sur le terrain, notamment avec leurs équipes de déminage, il n’y a pas de différence notable avec nos propres équipes.
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