Bientôt, les salles du Louvre résonneront du tumulte des travaux. Sous les échafaudages et les bâches de protection, le plus grand musée du monde connaîtra une nécessaire mue. Mais déjà, une voix venue d’Italie s’élève : la Lombardie réclame le prêt de la Joconde ! Songeant que la France, préoccupée par ses rénovations, pourrait momentanément relâcher son emprise sur son trésor. L’invitation, habilement formulée, masque mal une revendication ancienne, récurrente, celle d’un retour définitif de Léonard à sa patrie.
Mais la Joconde n’a pas encore fini de nous rendre service. Plutôt que de céder aux sirènes du doute ou de l’atermoiement, la France devrait au contraire saisir l’opportunité pour rappeler qu’elle demeure, aujourd’hui encore, la première nation des arts et de la culture. À l’heure où Donald Trump veut rebaptiser le golfe du Mexique en golfe de l’Amérique pour y imprimer sa marque, notre pays doit se souvenir qu’il ne rayonne pas par la contrainte, mais par la beauté. Ce n’est ni l’économie, ni la puissance militaire, mais l’art qui confère à la France son statut si singulier dans l’histoire du monde.
En 1963, sous l’impulsion d’André Malraux, la Joconde traversa l’Atlantique pour s’exposer au Metropolitan Museum de New York et à la National Gallery de Washington. Ce voyage fut un triomphe : un million et demi d’Américains firent la queue, parfois des heures, pour apercevoir un instant le sourire de Mona Lisa. La France de De Gaulle, alors en pleine reconquête de son prestige international, n’avait pas hésité à mobiliser ce joyau pour signifier son retour sur la scène du monde.
Pourquoi, aujourd’hui, ne pas renouer avec cet esprit de diplomatie culturelle ? Puisque l’Italie nous invite à faire voyager notre chef-d’œuvre, pourquoi ne pas lui offrir un tour du monde savamment orchestré ? Une escale en Asie, où le Louvre Abu Dhabi témoigne déjà du dialogue entre notre patrimoine et la modernité orientale. Une halte aux États-Unis, où la fascination pour l’art français ne s’est jamais démentie. Pourquoi ne pas imaginer, enfin, un passage en Afrique, sur un continent où la question du retour des œuvres d’art demeure brûlante, et où la présence de la Joconde pourrait signifier une volonté de dialogue renouvelée et d’apaisement ?
Qui peut prétendre que le sourire de la Joconde ne vibre pas en chacun de nous, quelles que soient nos origines ?
Une telle initiative ne relèverait pas du nationalisme culturel, mais bien d’un message universel. Dans un monde où le langage des armes, qu’il soit physique ou numérique, tend à s’imposer comme seule grammaire du pouvoir, la France doit réaffirmer son choix d’un autre idiome : celui des formes et des couleurs, de la lumière et des symboles. On nous dit parfois que la culture n’est plus un levier suffisant dans les relations internationales, que le Hard power l’emporte désormais sur le Soft power. Mais qui peut nier l’effet qu’a encore la tour Eiffel sur l’imaginaire mondial ? Qui peut prétendre que le sourire de la Joconde ne vibre pas en chacun de nous, quelles que soient nos origines ?
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Au-delà de l’idée de faire voyager la Joconde à l’international pendant la rénovation du Louvre, ce qui contribuerait indéniablement au rayonnement culturel de la France, on pourrait envisager une initiative plus locale encore, au service des Français : un « Tour de France de La Joconde ». Ce projet ambitieux aurait pour objectif principal la démocratisation de l’accès à la culture, en partageant ce trésor national avec des publics souvent éloignés des grands centres culturels.
Ce Tour de France artistique pourrait cibler particulièrement les zones rurales et les petites villes, offrant ainsi une opportunité unique aux habitants de ces territoires de contempler l’œuvre la plus célèbre au monde. Cette démarche s’inscrirait dans une volonté de réduire les inégalités d’accès à la culture et de renforcer le lien entre le patrimoine national et l’ensemble de nos compatriotes. Bien que les défis logistiques et sécuritaires soient considérables, les bénéfices en matière d’éducation, de cohésion et d’égalité culturelle pourraient être immenses, et en valoir la peine !
Il n’y a pas de naïveté à croire en la force de l’art
Il n’y a pas de naïveté à croire en la force de l’art. Il y aurait, en revanche, un immense gâchis à laisser dormir nos chefs-d’œuvre, à les considérer comme de simples reliques sous vitrine. Faire voyager la Joconde, ce ne serait pas l’exiler. C’est rappeler au monde que la France n’a pas seulement un passé glorieux : elle possède encore la capacité de susciter l’émerveillement. À l’ère du bruit et de la fureur, opposons un sourire. Après tout, n’est-ce pas ainsi que Léonard s’adressa à l’humanité ?
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