C’est un fait divers qui avait horrifié la Grande-Bretagne en 2018. Après de nombreuses morts suspectes de nouveau-nés dans le comté du Cheshire, au sud de Liverpool, la police lançait une enquête d’envergure dans le service de néonatalité de l’hôpital de Chester. Elle avait dénombré sept bébés morts et plusieurs autres, sauvés in extremis. Les autopsies révélaient une même cause de décès : une surdose d’insuline par une injection d’air dans les veines. Point commun à toutes ces morts suspectes ? La présence dans le service à ce moment-là d’une infirmière sans histoire, Lucy Letby, 27 ans.
Les enquêteurs se sont intéressés de près à cette jeune femme. Ils perquisitionnent son domicile et y trouvent un certain nombre d’éléments à charge : dossiers médicaux des enfants décédés, recherches Facebook autour des parents des victimes et toute une série de post-its sur lesquels on peut lire : « Je l’ai fait, je suis le diable » ou encore « Je ne mérite pas de vivre ». Si ces écrits ne constituent en rien des aveux, ils seront pour les policiers la signature de ces crimes effroyables.
Inculpée, Lucy Letby n’aura de cesse de nier les faits. Lors de son procès en 2023, elle semble ailleurs. Elle évoque sa vie passée, sa jolie maison, ses chats, mais ne montre aucune empathie au sujet des enfants décédés qu’elle aurait tués. On la décrit alors comme froide, calculatrice et cruelle. En un mot, la coupable idéale. Sans surprise, elle est condamnée en août 2023 à la perpétuité incompressible, une peine très rare dans le droit anglais. Ses deux demandes d’appel — dont la dernière en 2023- seront ensuite rejetées.
Le Dr. Shoo Lee relance le dossier
C’est une personne d’abord passée presque inaperçue dans ce dossier qui va devenir cruciale pour la suite. Lors du procès de Lucy Letby, un article universitaire sur l’embolie gazeuse cosigné en 1989 par le Dr Shoo Lee est utilisé par l’accusation. C’est ainsi que seraient mortes les victimes : Mme Letby aurait tout simplement injecté de l’air dans les veines des bébés, provoquant leurs morts ou mettant en danger leur vie. Ce geste aurait laissé sur les victimes une légère décoloration de la peau. Dans les cas analysés par le Dr Lee dans son article, il fait lui aussi état de ces légères lésions sur la peau. L’accusation a évidemment utilisé ces conclusions contre l’infirmière afin d’étayer le mobile criminel.
Pourtant, cette trace distincte sur la peau des bébés ne concerne que 10 % des cas. C’est peu. Le Dr Shoo Lee, apprenant que ses recherches ont été utilisées dans le procès, cherche à intervenir. Saisi par les avocats de Lucy Letby et un groupe indépendant d’experts médicaux, il a présenté à leurs côtés ce mardi 4 février de « nouvelles preuves médicales », jetant ainsi le doute sur la culpabilité de la jeune femme.
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Il a d’abord adressé un message aux parents des victimes supposées de Lucy Letby, affirmant que son « travail n’a pas pour but de provoquer davantage de détresse », mais qu’il vise à apporter « réconfort et assurance en connaissant la vérité sur ce qui s’est réellement passé ».
L’affaire Letby, « une des plus grandes injustices des temps modernes » selon un député conservateur
L’expert canadien en soins néonataux à la retraite est ensuite longuement revenu sur tous les cas décrits dans son article avec cette précision de la plus haute importance : l’air évoqué avait été injecté dans les artères des bébés et non dans leurs veines, comme pour les bébés décédés à Chester. Il a ajouté que cette décoloration de la peau n’était pas possible lorsque l’air était injecté dans les veines. Cette expertise a été validée par le collège de spécialistes internationaux présents ce jour-là également et ayant étudié chaque cas du dossier, soit près de 18 nouveau-nés du service.
Shoo Lee a également déclaré que ce groupe estimait que les bébés étaient morts d’un mélange de causes naturelles et de mauvais soins médicaux, et qu’il n’y avait « pas eu de meurtres ». « Les conclusions sont donc qu’il n’y a pas de preuves médicales pour étayer une malversation ayant causé la mort ou des blessures dans aucun des cas du procès. Le décès ou les blessures de tous les nourrissons concernés sont dus soit à des causes naturelles, soit à des erreurs dans les soins médicaux ». Et de pointer du doigt les dysfonctionnements de l’hôpital du comté : manque de personnel, manque de moyens et lacunes dans la formation du personnel soignant.
Demande de révision
C’est donc un coup de théâtre monumental dans une affaire qui a suscité l’effroi chez les Britanniques. Sir David Davis, député conservateur et ancien secrétaire d’État au Brexit, a qualifié l’affaire Letby « d’une des plus grandes injustices des temps modernes ». Il a également demandé la tenue d’un nouveau procès à la vue de ces nouveaux éléments.
Mark Mac Donald, avocat de la jeune femme, âgée désormais de 35 ans, n’a pas voulu réagir sur l’état d’esprit de sa cliente face à ce rebondissement. « Vous les journalistes, me demandez souvent comment va Lucy, comment tient-elle le coup ? Elle a été accusée d’avoir tué des bébés dans le cadre d’un travail qu’elle aimait. Puis, on lui a dit qu’elle ne sortirait jamais de prison. Je suis sûr que cela ne laisse pas beaucoup de doutes sur ce qu’elle ressent », a-t-il déclaré. Sa conviction, c’est évidemment qu’« aucun crime n’a été commis », affirmant d’ailleurs que Lucy Letby a été « l’une des premières à identifier les problèmes de son unité néonatale ». Sans surprise, la défense a donc déposé un recours devant la Commission de révision des affaires pénales (CCRC).
Si des erreurs judiciaires sont détectées, l’affaire pourrait être renvoyée en cour d’appel pour un nouveau procès
Le cas de l’infirmière a commencé à être évalué, mais un tel examen prendra du temps en raison du « volume important de preuves ». Si des erreurs judiciaires sont détectées, l’affaire pourrait être renvoyée en cour d’appel pour un nouveau procès. En parallèle, une enquête publique menée par Kathryn Thirlwall, une ancienne juge de la Cour d’appel, est également en cours pour faire la lumière sur la réaction des responsables et des médecins de l’hôpital Countess of Chester face aux premières alertes qui avaient émergé sur le comportement de l’infirmière, bien avant son arrestation. Elle doit rendre ses conclusions à l’automne. « En raison de l’enquête Thirlwall et des investigations policières en cours, il ne serait pas approprié de faire d’autres commentaires à ce stade », a déclaré le service presse de l’hôpital. À suivre…
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