Il faut reconnaître que le calendrier est fort à-propos : une poignée de jours seulement après le terrible meurtre du jeune Elias en pleine rue, la Mairie de Paris lance son « Plan couteaux », un programme de prévention du port d’armes en réponse à la flambée des violences entre mineurs ces dernières années. Que les Parisiens soient rassurés : leurs élus ont bien pris la mesure du phénomène et trouvé le moyen imparable pour l’endiguer. Des interventions de sensibilisation seront organisées dans les écoles et des dépliants remis aux jeunes, qui apprendront alors que « tous les couteaux peuvent blesser et tuer quelle que soit leur taille ». Voilà de quoi offrir un immense soulagement aux parents inquiets : ce qui péchait, c’était donc le manque d’information ! Si le meurtrier d’Elias avait eu ce dépliant entre les mains avant de croiser son chemin, il aurait su que son couteau était dangereux, et n’aurait certainement pas commis le geste irréparable…
Ne serait-ce le style du langage employé, on dirait le Plan couteaux conçu par de méritantes mères de famille de la bonne bourgeoisie du XIXe siècle. C’en est pathétique de candeur et d’aveuglement. Mais n’oublions pas que la persévérance dans l’erreur est un trait constitutif de la gauche. La prévention ne fonctionne pas ? Qu’à cela ne tienne, on recommence. Les campagnes de prévention des « incivilités » dans les transports en commun se succèdent sans jamais porter le moindre fruit, ni plus que les caresses de hamster pour lutter contre la radicalisation islamiste. Il suffit pourtant du bon sens le plus élémentaire pour comprendre que ce n’est pas avec des slogans infantilisants et déresponsabilisants qu’on canalise des adolescents violents. Ce n’est pas non plus avec des discours mièvres qu’on amadoue une jeunesse baignant dans l’univers sans filtre et souvent brutal des réseaux sociaux.
On notera également l’entêtement de la gauche à regarder ailleurs lorsqu’on s’évertue à lui montrer la cause. Dans la progression des violences avec arme blanche, le problème est loin de se limiter à la question du port d’armes. Comme l’a dit très justement la journaliste Gabrielle Cluzel, des générations de scouts ont porté des couteaux de poche sans que cela n’ait conduit à des actes de violence.
S’il va de soi qu’il faut dissuader au maximum les mineurs de porter des armes (les couteaux n’ont notamment rien à faire dans l’enceinte de l’école), il est indispensable d’aller plus loin pour tenter de comprendre les raisons de la banalisation de ce port et de l’usage funeste qui en est fait. Or de raisons les communicants de la Mairie de Paris n’en voient qu’une : ce serait dans un but défensif et non offensif que de plus en plus d’adolescents décideraient de s’équiper. C’est bien cela que dit en filigrane le slogan-phare de la campagne : « Porter un couteau c’est se mettre en danger, pas se protéger ».
On comprend donc que le jeune n’est jamais celui qui plante le couteau, mais toujours celui qui est planté. Le jeune est une victime, par définition, jamais un coupable. Pourtant, on parle bien de rixes entre mineurs. La thèse de la protection pourrait à la rigueur être recevable si les couteaux n’étaient sortis qu’en ultime recours, lors d’une bagarre qui aurait dégénéré : les jeunes en seraient d’abord venus aux mains puis aux armes dans une triste escalade de violence. Mais que dire alors des nombreuses fois où un mineur dégaine son couteau de prime abord, sans échauffement préalable, sans coup reçu, simplement pour un mauvais regard, une insulte, une bousculade ? Ou parce qu’un autre a refusé de lui céder son téléphone, comme Elias, à qui cela a coûté la vie ? En se limitant à la question de l’autodéfense, les concepteurs du Plan Couteaux passent complètement à côté du problème central.
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Ce problème, que nous devons collectivement et courageusement affronter, est celui de l’ensauvagement de la jeunesse. C’est un enjeu relativement complexe puisqu’il naît de la conjonction de plusieurs facteurs, que l’on se contentera ici de citer rapidement : sentiment d’impunité sur fond de laxisme judiciaire, exaltation des pulsions consuméristes, accès de plus en plus jeune à la pornographie et aux contenus ultraviolents, expansion du relativisme moral, importation de populations aux mœurs différentes, effondrement du niveau d’instruction, et par-dessus tout, anéantissement de l’autorité (du père, du professeur, du policier). Prendre à bras-le-corps la question de l’ensauvagement supposerait de remettre en question plusieurs dogmes sacrés de la religion progressiste et d’en abattre une à une les idoles. Or, ce renoncement, la gauche ne peut s’y résoudre, puisqu’il rimerait avec son propre effondrement. La gauche préfère ainsi faire le sacrifice de nos enfants à celui de ses croyances.
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