Les organes à greffer sont des dons précieux. Qu’il s’agisse de cœur, de rein, de foie ou de poumon, des malades en mauvais état de santé attendent patiemment, sur des listes, que leur tour arrive pour obtenir le précieux organe qui leur redonnera une vie à part entière. La France, sous l’égide de l’Agence de la biomédecine, a mis en place des critères précis pour garantir l’équité entre les patients. Cette équité est respectée.
En revanche, ces dernières années, nombre de soignants s’interrogent sur la manière dont des étrangers malades, non résidents, trouvent leur place sur ces listes. Car la vocation universelle et éthique de la France à soigner tous les malades graves qui se présentent sur son territoire pourrait se fracasser sur la question des greffes. De tels traitements sont limités : ils reposent sur des dons rares d’organes humains, dans le cadre de la solidarité nationale, en quantité insuffisante pour tous ceux qui, dans le monde, en ont besoin.
Perte de chance
La question qui sous-tend ce sujet sensible est le risque, pour des patients français ou résidents légaux, de perdre leur chance, quand le don de greffe est élargi aux malades étrangers non résidents des quatre coins du monde. Chaque année, environ 400 personnes inscrites sur la liste nationale d’attente meurent, faute de greffon. En 2023, 3 325 greffes rénales ont été réalisées alors que 12 000 personnes étaient inscrites sur cette liste.
« Des malades souffrant d’insuffisance rénale grave venant de l’étranger, hors Union européenne, arrivent en France. Ils se présentent dans des centres de dialyse qui ne peuvent pas les refuser, du fait de l’urgence vitale, au nom de l’humanité et au risque d’être condamnés pour non-assistance à personne en danger, explique le docteur Brigitte Lantz, néphrologue, secrétaire générale de la Fondation du rein. Et vu leur état de santé, ils sont ensuite inscrits sur la liste nationale d’attente de greffe de rein. » Des patients arrivent de l’étranger sous couvert d’asile ou de manière illégale, grâce à des passeurs spécialisés. Ils peuvent ainsi accéder à une prise en charge dans le cadre légal des « titres de séjour pour soin ». Or, même si les critères d’attribution de greffon restent les mêmes pour tous, ces patients étrangers non résidents sont souvent à un stade plus avancé de leur insuffisance rénale, plus jeunes que les malades français ou résidents, et ont donc un meilleur pronostic pour la greffe. Ce qui pourrait leur permettre un accès prioritaire grâce à un meilleur score médical.
En 2022, le temps d’attente pour une greffe de rein était de 2,5 ans
En août 2023, l’hebdomadaire Marianne rendait compte d’une lettre rédigée en 2018 par la Société francophone de transplantation. Elle manifestait sa préoccupation devant le nombre de prises en charge des réfugiés médicaux dans les services de dialyse ainsi que leur inscription sur les listes d’attente de greffe : « Depuis quelques années, nous constatons l’afflux de patients réfugiés (Ukraine, Géorgie, Albanie, etc.) qui, amenés par des compatriotes ou des passeurs, arrivent dans nos services d’urgence en situation souvent très précaire, nécessitant des séances de dialyse immédiates et désirant rapidement s’inscrire sur nos listes de transplantation. »
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La note « Immigration et santé », publiée en novembre 2024 par l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID), consacre une large part à ce sujet. D’après cette note, 503 demandes de séjour pour une insuffisance rénale terminale nécessitant une dialyse, voire une greffe, ont été enregistrées en 2022. « Les soins fournis aux étrangers malades non résidents dans le cadre de cette procédure sont sans limitation, avec un coût non visible puisque pris en charge de manière globale par l’Assurance maladie », explique Nicolas Pouvreau-Monti, directeur général de l’OID.
Déjà en 2022, un rapport de l’Assemblée nationale sur l’évaluation du coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière – rédigé sous l’égide de la députée Véronique Louwagie, qui est aujourd’hui ministre déléguée chargée du Commerce – soulignait que 3 376 greffes de rein avaient été réalisées en 2022 en France (dont 511 greffes effectuées à partir de donneurs vivants), avec un temps d’attente médian de deux ans et demi. Or cette même année, selon l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), 1 740 demandes de séjour pour soins ont été déposées par des malades étrangers, pour insuffisance rénale chronique terminale, nécessitant dialyse ou greffe de rein.
Soins gratuits
Le dispositif français de « séjour pour soins » est quasiment unique au monde : la France est le seul pays à offrir ce type de soins gratuitement et sans restriction de plafond. Dans leur rapport sur l’Aide médicale de l’État (AME) publié en décembre 2023, l’ancien ministre Claude Évin et le conseiller d’État honoraire Patrick Stefanini donnaient également quelques chiffres : en 2022, vingt étrangers non résidents ont bénéficié d’une greffe de rein, pour 3 182 greffes pour des résidents français ou étrangers en situation régulière.
La France est le seul pays à offrir ce type de soins gratuitement et sans restrictions de plafond
Sollicitée, l’Agence de biomédecine, qui gère la liste nationale d’attente, souligne que la décision d’accepter l’admission de non-résidents pour greffe ne l’implique à aucun stade. En réalité, dès lors que l’étranger est inscrit sur la liste nationale d’attente, l’Ofii donne un avis favorable, puis le préfet délivre un titre de séjour pour soins. Entre 2015 et 2022, selon l’Agence de biomédecine, les patients résidant hors de l’Union européenne ont représenté 0,8 % du total des personnes greffées, et les résidents dans l’Union européenne (hors France) 0,8 % également. Ce taux est stable.
Le processus d’attribution des greffons en France est rigoureux. Mais il reste un manque de transparence, notamment sur les données précises concernant le nombre d’étrangers non résidents qui bénéficient d’une greffe de rein ainsi que sur le positionnement de ces malades sur la liste d’attente. Au regard du contrat social, serait-il choquant, sur le plan éthique, de répondre en priorité aux besoins de greffe des résidents en France ? « S’agissant d’une ressource rare et précieuse, il paraîtrait logique d’envisager d’établir une règle claire. Par exemple, lorsqu’un rein est disponible, le choix s’exercerait d’abord envers des patients résidents, français ou étrangers, comme le recommande la Déclaration d’Istanbul dès 2008 », suggère le professeur Muriel Dahan, membre du comité des Sages de l’Ofii.
Qui est concerné
L’insuffisance rénale chronique est une maladie grave, qui touche souvent des patients souffrant de diabète ou d’hypertension artérielle. En France, près de 6millions de personnes en sont atteintes à divers stades. Les premiers symptômes n’apparaissent qu’à un stade avancé de la maladie : grande fatigue, perte de poids… Sans diagnostic précoce, cette maladie évolue vers une insuffisance rénale terminale : les seuls traitements sont alors la dialyse ou la greffe de rein. Le dépistage précoce, avec dosage de la créatinine et de l’albumine urinaire, change donc tout. Il peut permettre une prise en charge rapide, et des traitements innovants réduisent de 30 à 40 % le risque de progression vers l’insuffisance rénale terminale.
À l’occasion de la Journée nationale du rein, qui se tiendra le 13 mars prochain, le Pr Jean-Marc Boivin, chercheur et spécialiste de l’hypertension au CHRU de Nancy, explique : « Sensibiliser la population à demander un dépistage précoce et inciter les médecins à prescrire des dosages de créatinine et d’albumine, surtout chez les patients à risque, est essentiel. »
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