En moins de 24 heures, dans deux discours tenus successivement à Toulouse, Jean-Luc Mélenchon a dit tout de sa vérité. Jamais sans doute n’avait-il été aussi explicite dans ses propos et sa vision, quand bien même celle-ci n’avance jamais vraiment masquée. Mais cette fois-ci l’objectif est dévoilé sans pointillisme, avec la clarté d’une flèche. Il désigne son horizon et il vise son ennemi. Son horizon ? La créolisation, euphémisme en lieu et place du « grand remplacement », notion forgée et popularisée par Renaud Camus pour mieux en dénoncer les conséquences mais que le fondateur de LFI reprend cette fois-ci à son compte pour la retourner positivement et appeler à sa mise en application concrète. Son ennemi ? La tradition, le passé, la France d’hier et encore d’aujourd’hui qu’il dénonce comme une vieille fripe à jeter aux orties car elle n’existerait plus.
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Le Prophète a parlé et le clientélisme « racisé », comme l’on dit aujourd’hui, est son viatique. Mais il ne lui suffit pas seulement de louanger la subversion, qu’il gage sur une tectonique démographique dont il espère qu’elle sera « tsunamique » ; il lui faut aussi dessiner le nouvel espace vital où déverser ce nouveau peuple de substitution. Les campagnes, cette France rurale, apparent objet de son exécration à peine dissimulée, offrent à ses yeux le biotope indispensable et idéal à l’achèvement de son programme.
Il y a dans tout révolutionnaire un « petit-bourgeois » qui sommeille pour lequel le mépris social dont il a pu souffrir un jour ou l’autre trouve à se compenser dans un rêve d’éradication de tout ce qui apparaît susceptible de s’opposer à sa fantasmagorie. Mélenchon est de ceux-là, héritiers des équarrisseurs de 1793 qui tout en étêtant l’aristocratie et autres suspects de différentes couches urbaines, n’avaient guère plus d’indulgence pour une paysannerie soupçonnée de superstitions et d’attachement à la foi catholique. À l’ouest, la Convention fut sans pitié pour les récalcitrants des bocages, où s’épancha alors un sang dont notre histoire ne rend compte encore qu’avec parcimonie.
La ruralité, territoire de conquête
Au soir de sa carrière dont il ne désespère pas qu’elle consacre son ordalie insurrectionnelle, le vieux leader a passé un stade supplémentaire dans la politique d’intimidation verbale qui exalte toujours les minorités qui le soutiennent. Toute la question est de comprendre pourquoi il érige la ruralité en territoire de conquête. Non pas une conquête des âmes, une conquête par convictions, de celle qui en démocratie est portée par le vote, la joute électorale, mais une conquête physique, démographique, invasive. Dès lors sans complexe, Mélenchon se fait le chantre du « grand remplacement », en appelant en quelque sorte à une « colonisation de peuplement » dans ces campagnes qui restent sourdes à son message et qui, bien au contraire, portent massivement leurs suffrages sur ses ennemis déclarés de droite en général et plus particulièrement du RN.
Cette grande marche qu’il promet pourrait apparaître comme une énième tartarinade, si elle ne rejoignait pas la prophétie que l’on prête à l’ancien Président algérien Houari Boumédiène : « Le ventre de nos femmes nous donnera la victoire ». Elle serait sans impact si elle n’avait pas été l’objet de tant de conciliantes compréhensions de la part de ceux qui au centre, le fameux bloc central, n’ont pas toujours clarifié leur vision de la nation, loin s’en faut, et se sont accommodés par ailleurs de facilités électorales leur assurant leurs positions. Le Macron de 2017, après tout, n’était pas moins communautariste que le Mélenchon d’aujourd’hui, tout autant repentant que le woko-mélenchonisme d’aujourd’hui, et aussi peu enclin à défendre la singularité de la culture française qu’il disait ne pas connaître. Le mondialisme à la sauce anglo-saxonne dont le macronisme fut porteur, encalminé aujourd’hui dans la confusion politique née de ses échecs multiples, allait à sa façon dans la même direction que le mélenchonisme. Quelque part, ce dernier pointait dans sa saison 2, celle post-2017, dans les prolégomènes macroniens.
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Seul le rythme en différait, l’un plus en irénisme, l’autre plus rageur, mais au fond le partage était tenu – et peut-être le reste-t-il si l’on prend la peine de penser qu’il est quand même plus facile pour les leaders du bloc central d’appeler à faire barrage au Rassemblement national qu’à refuser de faire voter pour LFI et ses alliés. Comme si le macronisme avait été l’idiot utile du mélenchonisme, ainsi qu’en d’autres temps et sous d’autres latitudes les mencheviks le furent pour les bolcheviks…
*Arnaud Benedetti est professeur associé à la Sorbonne et auteur de « Aux portes du pouvoir – RN, l’inévitable victoire ? » (Michel Lafon).
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