Elle n’accorde que rarement des entretiens en tête-à-tête à la presse. On a donc mesuré le privilège de rencontrer Angelina Jolie pendant son séjour en décembre à Paris, où elle tournait le nouveau film d’Alice Winocour, Coutures. Un drame dans lequel elle incarne une réalisatrice américaine de passage dans la capitale pour la Fashion Week et dont le destin va entrer en collision avec celui de deux autres femmes.
À 49 ans, la star, qui figure parmi les plus médiatisées au monde, irradie de beauté, de gentillesse, de douceur, d’humilité. Elle se livre sans retenue sur Maria de Pablo Larraín, où elle joue avec conviction et intensité la cantatrice grecque Maria Callas peu de temps avant sa mort, et dans toute sa complexité. L’occasion d’évoquer ses propres fantômes. Lauréate de l’Oscar du meilleur second rôle pour Une vie volée (2000) de James Mangold, elle cumule aujourd’hui les nominations outre-Atlantique pour sa prestation remarquable, dont les Critics Choice Awards et les Golden Globes.
Le JDD. Est-ce le rôle le plus exigeant de votre carrière ?
Angelina Jolie. Absolument ! Parce que Maria Callas est une artiste à la renommée internationale et vénérée par le public. Déjà que cela met une sacrée pression de représenter quelqu’un qui a réellement existé, à ce niveau-là cela paraît insurmontable ! Il fallait apprendre les arias en maîtrisant une technique extrêmement pointue, et tout en italien. J’ai accueilli ce défi comme un cadeau quasi thérapeutique, même si cela impliquait des heures passées avec un professeur à me perfectionner et à surmonter les nombreuses difficultés de cet entraînement très éprouvant. Le plus dur a été d’appréhender la vulnérabilité du personnage, qui éprouve des sentiments très familiers tels que le manque ou la douleur, toutes ces choses auxquelles on ne préfère pas penser et qu’on refoule. Là, je devais m’y confronter. J’ai donné tout ce que j’avais, exprimé tout ce que je retenais.
« Je rêverais de vivre à Paris, je m’y sens comme chez moi »
Peu de temps avant sa mort, Maria Callas comprend qu’elle ne pourra plus jamais chanter. Dans quelle mesure vous êtes-vous projetée dans ce drame intime ?
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Vous savez, j’ai presque 50 ans. Ma mère a découvert qu’elle souffrait d’un cancer incurable à 48 ans. Ma grand-mère est décédée du même mal à 45 ans. Je n’ai jamais cru que j’avais tout l’avenir devant moi, je suis consciente du caractère éphémère et fragile de la vie. Bien sûr que je songe parfois à la mort, j’ai eu de graves problèmes de santé, j’ai subi une double mastectomie préventive. Je me considère en sursis. Maria Callas est tourmentée par l’altération de sa voix d’or. Moi, le pire qui pourrait m’arriver, ce serait la perte de ma famille. Je ne m’en relèverais pas. Mon métier n’est pas si important, je serais capable de vivre sans.
Maria n’avait pas d’amour dans sa vie, élevée par une mère cruelle. Alors elle s’est raccrochée à la scène, au public, à son organe si exceptionnel qu’il l’a hissée au firmament. Je ressens de l’empathie pour elle. À la fin, elle était seule, abandonnée, en proie à des journalistes médisants selon lesquels elle était devenue l’ombre d’elle-même. Elle s’est sentie attaquée, à raison. En outre, elle avait l’impression de décevoir ses fans. C’est très triste.
Quelle a été votre préparation ?
Elle a démarré sept mois avant le tournage. Et une fois qu’il avait commencé, je pratiquais tous les soirs au piano. On révisait systématiquement les scènes du lendemain pour que je sois en pleine possession de mes moyens. J’ai donc appris à respirer, à adopter une bonne posture pour faciliter la circulation de l’air dans l’œsophage, le chant traditionnel pour répéter mes gammes et soudain m’apercevoir que j’étais soprano. J’ai poursuivi avec les leçons d’italien, en étudiant tous les morceaux que je devais dire pour que ma prononciation et mon accent soient corrects. Enfin, je me suis plongée dans l’opéra avec un instructeur et j’ai su à quel point j’entrais dans un monde complètement différent, régi par des règles immuables. J’étais intimidée et épuisée, cela requiert énormément d’énergie de la part du corps, par exemple pour la gestion du souffle et des sons qui sortent de façon parfois désordonnée de la gorge. (Rires.)
« Je me suis plongée dans l’opéra avec un instructeur »
Mais je me suis prise au jeu et j’ai aimé passionnément cette discipline au point qu’entonner ces arias est devenu un plaisir, et non plus une contrainte. Maintenant, j’en écoute sans arrêt. Je me rends compte de tout le chemin qu’il reste à parcourir, parfois une vie est nécessaire pour atteindre les sommets comme Maria Callas. Cette immersion m’a permis de la comprendre et donné les clés pour l’interpréter. Elle s’est entièrement dédiée à la musique.
Vous vous êtes découvert un talent méconnu ?
C’est fou, j’ignorais que j’étais capable de chanter de l’opéra ! Les journées se suivaient, d’un coup je parvenais à pousser une note qui m’était jusque-là inaccessible. Je regardais alors ma coach et je voyais qu’elle était aussi choquée que moi de la prouesse que je venais d’accomplir ! Alors, on ne cessait de repousser mes limites. À chaque fois que je réussissais à franchir un obstacle, j’étais la première surprise. Aujourd’hui, je continue de m’exercer… dans ma salle de bains. (Rires.)
Ma voix et celle de Maria Callas ont été savamment mélangées en postproduction. Sur le plateau, Pablo Larraín m’enregistrait en live, j’avais une oreillette pour que Maria me guide. Il était important que je me cale parfaitement sur elle, sur son timbre, son phrasé, sa sensibilité, sa quête de perfection, car nous allions fusionner. En revanche, le reste de l’équipe n’entendait que moi. Sans piano ou autre accompagnement, pour que la captation soit impeccable, débarrassée de tout parasitage sonore. Une véritable mise à nu dans le silence le plus total ! Je vous l’avoue, j’étais pétrifiée, je me sentais toute petite. Comme la première fois où j’ai dû vocaliser devant Pablo Larraín pour qu’il sache si cela allait marcher. Il m’a rassurée en me faisant écouter une minute et m’a dit qu’il était emballé. Je n’en revenais pas. Cette expérience m’a transformée. Je n’étais motivée que par la sincérité.
Vous vouliez travailler de longue date avec ce metteur en scène qui transcende ses comédiennes ?
Oh oui, je le lui ai dit il y a déjà de nombreuses années ! Pablo est devenu célèbre pour ces beaux portraits de femmes comme Jackie (2016) ou Spencer (2021), mais ce n’était pas son intention première. Il a aussi traité des hommes, comme Neruda (2016). Il étudie le comportement humain, peu importe le genre, pour parvenir à le comprendre. Comme sur un plateau, où il est dans la communication permanente avec son équipe. Sa stature de réalisateur m’impressionne. Il aime passionnément le cinéma et a à cœur de proposer un spectacle complet au public, avec le plus de nuances possible. Il est sérieux, intransigeant, investi. Je me devais d’être à la hauteur. Dès le départ, il savait qu’il me demandait l’impossible.
On ne peut pas tricher ni faire semblant car l’effort physique déployé au cours de la performance se voit sur le visage et sur le corps à l’image. J’ai décroché le job, ensuite on a tâtonné pour finalement se rendre compte que mes mois de travail avaient payé, liés par une confiance mutuelle indéfectible.
Maria Callas adorait être reconnue dans la rue, « en quête d’adulation » affirmait-elle. Vous, vous souffrez beaucoup de votre célébrité ?
Oui… Attention, Maria s’installait à la terrasse d’un café parisien pour être vue, mais elle observait avec un ton sarcastique, voire moqueur. En tant qu’artiste, j’aime communiquer avec mon public, tout en protégeant ma vie privée qui ne regarde personne d’autre que moi. Mais je ne serais pas actrice si je ne désirais pas me rapprocher des autres ! Souvent, la frontière se brouille, par ma faute, parce que j’accepte de partager d’autres aspects de mon quotidien. Gérer tous les aléas n’est pas toujours évident, surtout quand cela concerne mes enfants. En particulier ma fille Shiloh, 18 ans, qui déteste être suivie ou photographiée, cela l’affecte beaucoup. Elle n’est pas sur les réseaux sociaux. Elle a fait le choix de la discrétion et j’espère qu’il sera respecté.
« Je rêverais de vivre à Paris, je m’y sens comme chez moi »
Par contre, vos fils Maddox, 23 ans, et Pax, 21 ans, sont crédités au générique de Maria…
Absolument ! Ils ont exercé des petits boulots et apporté leur aide dans différents départements, dont la photographie. Maddox, qui parle parfaitement votre langue, continue sur sa lancée comme assistant de la réalisatrice Alice Winocour sur le plateau de Coutures. Cette dernière possède une intelligence émotionnelle rare, j’ai de la chance de faire partie de l’histoire qu’elle a envie de raconter. Il s’agit de mon premier rôle en français ! Elle m’a accordé sa confiance et je lui en suis très reconnaissante. Après Maria, c’est mon deuxième tournage à Paris. Je rêverais de vivre ici car je m’y sens très à l’aise, comme chez moi. Je n’attends qu’une chose : être prochainement de retour pour un nouveau film.
Pensez-vous revenir un jour à la réalisation ?
Oui, je le souhaite de tout cœur !
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