Le JDD. L’indicateur conjoncturel de fécondité s’établit à 1,62 enfant par femme en 2024. Or les femmes déclarent pourtant désirer 2,3 enfants. Comment expliquez-vous cet écart ?
Maxime Sbaihi. Le désir d’enfant est impossible à mesurer quantitativement, mais ce chiffre de 2,3 enfants que vous citez est ce qui s’en rapproche le plus : c’est le nombre idéal moyen d’enfants souhaités par les Français quand on les interroge en face-à-face. Depuis une vingtaine d’années, il est supérieur au taux de fécondité par un écart constant de 0,6 enfant. Cet écart positif entre la volonté et la réalité infirme la thèse d’une natalité en berne par simple déclin de la volonté des Français.
De même que la mortalité ne baisse pas parce que les humains ne veulent plus mourir, la natalité ne baisse pas forcément parce qu’ils ne veulent plus procréer ! Une partie de notre dénatalité est subie, résultant de contraintes pratiques qui brident les projets familiaux : la crise du logement, le travail qui ne paie plus, les modes de garde devenus inaccessibles.
Vous expliquez que le calcul du « coût d’opportunité » pour les générations actuellement en âge de procréer affecte négativement la natalité. Vivons-nous dans une société utilitariste ?
Pour parler en termes économiques, la parentalité implique des coûts directs mais aussi des coûts indirects sous la forme d’un coût d’opportunité, c’est-à-dire tout ce à quoi vous renoncez quand vous avez un enfant. Il est beaucoup plus élevé pour les femmes que pour les hommes, elles le payent par des carrières plus heurtées et des rémunérations plus faibles. Ce coût d’opportunité est aussi plus élevé qu’hier car le taux d’activité féminin a été multiplié par quatre sur les cinquante dernières années.
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Pour le dire autrement, les femmes ont beaucoup plus à perdre économiquement que par le passé à faire des enfants, c’est d’autant plus vrai avec l’allongement des études. Des modes de garde abordables permettent, entre autres, de minimiser ce coût d’opportunité et d’éviter à devoir choisir entre carrière et famille. Ce sont d’ailleurs les pays qui permettent de concilier les deux, là où l’activité des femmes est la plus élevée, que la fécondité résiste le mieux.
« Si le pauvre d’antan était un retraité sur la fin de vie, le pauvre d’aujourd’hui est un jeune confronté à l’avenir », écrivez-vous. Les causes de la dénatalité sont-elles essentiellement économiques ?
Une décision aussi intime et engageante que celle de faire un enfant répond à une multitude de facteurs. Vous trouverez autant d’avis que de professions sur la question. Dans cette large équation, on a néanmoins tendance à oublier que le vent économique est devenu beaucoup moins porteur pour les jeunes générations : l’évaporation de la croissance et les crises à répétition ont fragilisé leur entrée dans la vie adulte, la crise du logement s’acharne sur elles, la dépense publique les boude, la solidarité intergénérationnelle les plume et la pauvreté a rajeuni. La baisse des naissances est aussi le symptôme de toutes ces cassures générationnelles.
Quel impact le grand vieillissement a-t-il sur notre démocratie ?
Un électorat vieillissant, devenu majoritaire par la force du nombre et de sa mobilisation, change la demande et donc les priorités politiques d’une nation. Sous pression gérontocratique, on observe que les décideurs publics ont tendance à favoriser les dépenses de retraite et de santé au détriment des dépenses d’éducation et d’investissement. Les négociations autour du budget 2025 illustrent trop bien cette mauvaise pente glissante : on priorise les dépenses sociales au détriment des dépenses d’avenir, on augmente les retraites pendant qu’on coupe les crédits de l’enseignement supérieur et de la recherche. La priorité n’est plus la prochaine génération, mais la prochaine élection.
« Notre population active ne croît quasiment plus, elle devrait même baisser sur la prochaine décennie »
Au-delà des questions d’identité qu’il pose, le recours à l’immigration ne permet pas de braver la natalité, analysez-vous. Comment la population active française va-t-elle évoluer ?
Notre population active ne croît quasiment plus, elle devrait même baisser sur la prochaine décennie. Pris en étau entre la dénatalité, qui raréfie les jeunes, et le vieillissement de notre population, avec les départs massifs à la retraite des derniers boomers, notre marché du travail est déjà sous tension. Les pénuries se généralisent : on manque de médecins dans les campagnes, d’auxiliaires de puériculture dans les crèches, de soudeurs dans les usines, de techniciens sur les chantiers.
Certains pays ont choisi de remédier à cette tension économique en important des actifs de l’étranger via l’immigration, c’est le cas par exemple de l’Allemagne. L’immigration est un pansement économique mais aucunement un remède contre les rides ou la dénatalité. Elle donne du ventre à la pyramide des âges, mais ne restaure pas sa base car la deuxième génération d’immigrés s’aligne sur la norme de fécondité du pays d’accueil.
« L’immigration est un pansement économique, mais aucunement un remède contre les rides ou la dénatalité »
Comment réenchanter la parentalité ? La France doit-elle se doter d’une nouvelle politique familiale ?
Les naissances en France baissent continuellement alors que nous avons la politique familiale la plus généreuse de tous les pays de l’OCDE. C’est bien la preuve que la fécondité ne s’achète pas ! Les dispositifs rattachés à notre politique familiale obéissent à trop d’objectifs différents, ce flou artistique aboutit à des effets redistributifs en U : les prestations décroissantes avec le niveau de vie aident surtout les plus démunis tandis que les allégements d’impôts profitent davantage aux plus aisés. Au milieu, on retrouve une classe moyenne comme souvent trop riche pour profiter pleinement des allocations familiales mais trop pauvre pour tirer tous les avantages du quotient familial. Les deux mériteraient d’être recalibrés pour être pleinement effectifs dès le premier enfant.
Mais sans environnement propice aux jeunes et aux familles, et sans un réinvestissement dans la petite enfance, tout levier socio-fiscal aura une incidence d’autant plus faible sur les décisions personnelles d’avoir ou non un enfant. Il faut agir résolument mais pas n’importe comment : la légitimité de l’action publique réside dans la facilitation des projets familiaux mais pas dans leur encouragement car le choix de faire ou ne pas faire un enfant doit rester du strict ressort de la liberté individuelle. L’État n’a pas à dicter les modes de vie ou s’immiscer dans les chambres à coucher.
*Maxime Sbaihi est économiste, directeur stratégique du Club Landoy et expert associé à l’Institut Montaigne.
Les balançoires vides : le piège de la dénatalité, Maxime Sbaihi, L’Observatoire, 240 pages, 22 euros.
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