Longtemps éloignée du pouvoir, sa famille politique est devenue un pilier de la majorité gouvernementale. À la tête d’un groupe de 47 députés, le chef des députés DR est une voix incontournable dans les grands arbitrages politiques du moment. D’abord frileux à l’idée de se rallier à une coalition gouvernementale, Laurent Wauquiez s’y est finalement résolu. Un choix dicté par la nécessité de « donner un minimum de stabilité au pays », explique-t-il dans l’entretien fleuve qu’il nous accorde. S’il assure travailler en bonne intelligence avec ses partenaires, notamment Gabriel Attal, l’ex-président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes prévient que cette participation n’est pas acquise. Immobilisme, immigration, pression fiscale… Demeurent plusieurs lignes rouges dont ferait bien de se souvenir François Bayrou.
Le JDD. Lors de votre niche parlementaire du 6 février, vous défendrez un texte visant à restreindre le droit du sol à Mayotte. François Bayrou s’y dit favorable. Y a-t-il une majorité pour le faire passer ?
Laurent Wauquiez. L’Assemblée a adopté le projet de loi d’urgence pour Mayotte. Ce texte était nécessaire, mais il passe totalement à côté de la question de l’immigration incontrôlée. On a un Premier ministre qui nous parle de submersion migratoire. La Droite républicaine a décidé d’avancer en tranchant le nœud gordien : supprimer le droit du sol à Mayotte pour les immigrés illégaux. Ce droit doit être réservé aux seuls enfants dont les deux parents sont en situation régulière depuis au moins un an. Nous avons travaillé en bonne intelligence avec Gabriel Attal. Le gouvernement soutient. Je ne doute pas que le RN assumera aussi de faire bouger les lignes.
Souhaitez-vous étendre à terme cette restriction à l’ensemble du territoire ?
Ce qu’on fait pour Mayotte a vocation à s’étendre au pays entier. Car les problèmes de l’archipel – toutes proportions gardées – existent aussi dans l’Hexagone : une immigration incontrôlée qui déstabilise notre société. Pour le dire simplement, il n’y a pas de droit de l’homme à immigrer en France et à devenir Français.
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Marine Le Pen est la candidate de l’assistanat
Toujours lors de cette journée, vous déposerez une proposition de loi visant à fusionner plusieurs prestations sociales en une seule et même allocation. Avez-vous chiffré les économies pour les finances publiques ?
Nous souhaitons créer une aide sociale unique, fusionnant la trentaine d’aides sociales existantes, car leur cumul ne doit pas dépasser 70 % du Smic. Cette mesure peut générer au moins dix milliards d’euros d’économies. Le problème n° 1 de la France, avec le régalien, c’est la dévalorisation du travail : six Français sur dix vivent du travail de quatre Français sur dix. Les travailleurs pauvres sont une des réalités les plus choquantes de notre pays. Comment accepter qu’une profession libérale, un artisan, un commerçant, paient souvent plus de 50 % de charges, impôts et taxes ? Certains politiques le dénoncent, mais rares sont ceux qui assument d’aller jusqu’au bout : ce qui dévalorise le travail, c’est l’assistanat. Si on paie autant de charges et d’impôts, c’est qu’on a fermé les yeux sur la fraude sociale et les abus. Ce qui écœure les Français, c’est le travailler plus pour payer plus, pendant que d’autres profitent du système. C’est une des grandes leçons de Montesquieu qui disait que si un pouvoir arbitraire ôte les récompenses du travail, l’inaction paraît être le seul bien.
Êtes-vous toujours favorable à une réforme du RSA ?
Il n’y a pas de liberté sans responsabilité, ni de droits sans devoirs. C’est pourquoi, j’ai toujours plaidé pour des heures d’activité en contrepartie du RSA. Marine Le Pen est la candidate de l’assistanat : elle a voté contre le conditionnement du RSA à une quinzaine d’heures d’activité, et le RN s’est encore abstenu cette semaine sur le plafonnement du cumul des aides sociales – je le regrette.
Vous souhaitez également mettre sur la table la question de l’accès aux logements sociaux.
Nous souhaitons que les personnes qui travaillent soient prioritaires pour accéder à un logement social.
Quelle que soit leur nationalité ?
C’est un point de divergence avec le RN. Si on suit leur raisonnement, le narcotrafiquant avec des papiers français aura une priorité d’accès au logement social, où il mettra son point de deal. À l’inverse, le maçon portugais ou l’infirmière ukrainienne n’y auraient pas accès ? Ce n’est pas sérieux. En revanche, on ne peut pas continuer à offrir l’accès à notre système de prestations sociales gratuitement à des étrangers qui n’ont jamais cotisé le moindre euro au système de solidarité nationale. Nous voulons que les étrangers aient résidé régulièrement en France au moins trois ans pour pouvoir bénéficier des aides sociales. Puisque le président de la République a parlé de référendum, nous demandons que cette question soit arbitrée par les Français. Certains seront surpris de constater que c’est un sujet ultra-consensuel.
Êtes-vous satisfait de la participation des LR au gouvernement ?
Notre choix a d’abord été dicté par la nécessité de donner un minimum de stabilité au pays. Nous ne sommes pas du côté des artisans du chaos, de ceux qui agitent la censure et placent leurs intérêts partisans avant celui du pays. J’ai été choqué par l’alliance RN-LFI qui a fait tomber Michel Barnier. C’est une faute politique dont on mesure l’impact aujourd’hui : creusement du déficit, déstabilisation de la consommation, investissements en berne… Et notre présence au gouvernement a permis d’imposer plusieurs sujets dans le débat : les sujets de sécurité et d’immigration, l’overdose bureaucratique, la fraude sociale, la pression fiscale…
Qu’attendez-vous du gouvernement ces prochains mois ?
Il faut passer des paroles aux actes. Après cinq mois à chercher un budget, il faut s’attaquer aux urgences du pays. La politique française s’est fait une spécialité de palabrer sur les mots, plutôt que de régler les maux. On parle d’ensauvagement, de décivilisation, de submersion migratoire et à l’arrivée, rien ne bouge. Notre démocratie est malade de son impuissance et de son incapacité à obtenir des résultats. Le prix de la stabilité gouvernementale ne peut pas être l’immobilisme politique. Il faut maintenant des actes.
Notre soutien n’est pas automatique, il se décide texte par texte
Qu’est-ce qui justifierait que vous sortiez du gouvernement ? Quelles sont vos lignes rouges ?
Notre soutien n’est pas automatique, il se décide texte par texte. Nous sommes, par exemple, fermement opposés à de nouvelles hausses d’impôts. Ce n’est pas à la France du travail de payer l’addition des dettes et des déficits.
Les grands patrons sont vent debout contre un budget qu’ils jugent confiscatoire. Partagez-vous leur colère ?
Les capitaines d’industrie français ont poussé un cri d’alarme, qui doit être pris au sérieux et entendu. Il est plus que temps de réagir contre le lent suicide économique de l’Europe et de la France. Ces grands patrons, qui ont créé des milliers d’emplois dans notre pays, dénoncent une réalité inquiétante : les États-Unis innovent, la Chine produit, la France et l’Europe réglementent. Nous avons atteint le point limite de l’anti-modèle français qui est celui du socialo-consumérisme. Jusqu’à la fin des années 1970, la France était un pays dans lequel on récompensait d’abord le travail et où les dépenses étaient équilibrées. À partir des années 1980, nous avons basculé dans une sorte d’État nounou, distribuant des aides sociales et des chèques à crédit, dissuadant la production et le travail, créant sans cesse plus de charges et de normes. Nous sommes le pays qui est allé jusqu’à inventer un bonus pour réparer les fermetures éclair ! Tous les pays qui s’en sortent valorisent le travail.
Éric Ciotti dans le JDNEWS propose de supprimer 400 agences – un tiers de l’ensemble – parmi lesquelles le Cese, l’Ademe, l’Arcom… Vous l’approuvez ?
Ce travail a été mené par notre famille politique depuis six mois. Avec Véronique Louwagie, nous avons listé mille agences et organismes administratifs et chiffré leur coût : 80 milliards d’euros, en augmentation de 50 % sur les dix dernières années. Or, bien souvent, ce sont ces organismes qui produisent les normes qui exaspèrent les Français. Quelle est l’utilité d’une Commission nationale du débat public ? Quel est l’intérêt d’avoir France Stratégie, un Haut-Commissariat au plan et un centre d’études prospectives et d’informations internationales ? Comment se fait-il que la France ait encore une Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs alors que nous n’avons plus la moindre mine de charbon ?
Éric Lombard juge pourtant que ces agences sont utiles…
Le ministre de l’Économie explique également qu’il n’y a ni trop de fonctionnaires, ni trop d’impôts. Je ne suis pas sûr qu’on vive dans la même réalité. Entendons-nous bien, la droite n’est pas l’ennemie des services publics, mais de la bureaucratie. D’autant plus que ces organismes administratifs aboutissent à la dépossession démocratique du pays. Faute de courage, certains responsables politiques ont préféré se dessaisir de décisions difficiles et les confier à des autorités administratives. C’est comme ça qu’on a constitué un État profond qui bloque les décisions et impose une ligne de pensée minoritaire, contraire aux aspirations des Français. Si on veut libérer le pays, il faut supprimer au moins deux tiers de ces organismes.
De façon générale, souhaitez-vous, si vous accédez au pouvoir, tailler drastiquement dans la fonction publique à l’image de ce qu’ont initié Javier Milei en Argentine et Elon Musk aux États-Unis ?
Chaque pays a son histoire, mais ce qui m’intéresse quand je regarde ce que font MM. Musk et Milei, c’est qu’ils refusent l’impuissance. Les réformettes, le « en même temps », les filets d’eau tiède ne redresseront pas notre pays : il faudra un changement beaucoup plus profond.
Les Français y sont-ils prêts ?
Plus que ça : ils y aspirent. Il y a quelques années, certains thèmes étaient difficiles à porter. Souvenez-vous de l’adversité à laquelle je m’étais heurté quand je dénonçais l’assistanat et les dangers d’une immigration incontrôlée. Quand je proposais la restriction du droit du sol, François Bayrou y était opposé, aujourd’hui il y est ouvert.
J’ai une proposition très simple : la taxation des transferts d’argent de la diaspora
Quel regard portez-vous sur l’action de Gérald Darmanin à la Justice et sur son tandem avec Bruno Retailleau ?
On a la chance d’avoir deux ministres alignés dans leur discours de fermeté. Le Parlement doit maintenant voter les lois qui permettent de mettre en œuvre la politique qu’attendent les Français et qu’on puisse, là aussi, passer des paroles aux actes.
L’expulsion ratée d’un influenceur algérien nous a renvoyés aux limites du pouvoir des mots…
Le droit actuel est fait pour que rien ne change. Seule une profonde réforme de notre État de droit permettra un sursaut. La justice sans la force est impuissante, écrivait Blaise Pascal. En attendant, ce qui est terriblement humiliant pour la France, ce ne sont pas tant les provocations révoltantes du pouvoir algérien, mais l’impuissance de notre pays, incapable d’y répondre par des actes de fermeté. J’ai une proposition très simple : la taxation des transferts d’argent de la diaspora. Chaque année, près de deux milliards d’euros sont transférés en direction de l’Algérie, avec des règles de défiscalisation. Qu’est-ce qu’on attend pour taper au portefeuille ?
François Bayrou a fait un certain nombre de concessions aux socialistes. Saluez-vous son sens du compromis ?
Qu’il y ait des discussions avec les socialistes, malheureusement la situation actuelle y conduit. Mais ça ne peut pas se faire au prix de la banqueroute de la France. À ce stade, le Premier ministre n’a pas suspendu la réforme des retraites et il a très clairement dit que les propositions de modifications devaient être financées. Je reste très vigilant à ce que les compromis ne se transforment pas en compromissions.
Considérez-vous comme une bonne façon de sortir du psychodrame des retraites le fait d’en confier la remise en chantier aux partenaires sociaux ?
Je préfère ça à des manifestations dans la rue. Et pour être honnête, j’ai davantage confiance dans les partenaires sociaux que dans certains partis politiques qui promettent de raser gratis.
Faut-il autoriser les gendarmes et policiers à intervenir dans les écoles et collèges, comme cela a été le cas pour une élève burkinabé, ce qui a fâché la ministre de l’Éducation ?
C’est une évidence qu’il faut pouvoir le faire. J’ai été le premier président de région à sécuriser les lycées. À l’époque, la ministre Najat Vallaud-Belkacem m’avait accusé de vouloir transformer nos établissements en prison.
Quelle est votre position sur la fin de vie ?
Il y a bien d’autres urgences à traiter avant ! La loi Leonetti est équilibrée, et elle fonctionne. Je voterai donc le texte sur les soins palliatifs, dont nous manquons cruellement, mais contre la proposition de loi sur le suicide assisté.
La droite paie parfois les ambiguïtés de ses positions, ses divisions, mais aussi les espoirs déçus
Serez-vous candidat à la présidence de votre parti ?
Ma famille politique m’a confié une mission de refondation de la droite. C’est à ce travail d’équipe que je me consacre depuis plusieurs semaines. On est dans une situation complètement paradoxale où le pays n’a jamais été aussi à droite et où la droite n’a jamais été aussi faible. La droite paie parfois les ambiguïtés de ses positions, ses divisions, mais aussi les espoirs déçus. Nous sommes la seule formation capable de défendre les deux piliers nécessaires pour redresser la France : le rétablissement de l’ordre et de l’autorité, d’une part ; la revalorisation du travail, de l’autre. Si le RN est ferme sur l’immigration, il est pro assistanat sur l’économie. Quant à l’approche d’Édouard Philippe qui consiste à aller du centre gauche au centre droit, on a bien vu que ce « en même temps » nous condamnait à l’impuissance.
Ça ne nous dit toujours pas si vous serez candidat à la présidence des LR…
Ne vous inquiétez pas, j’y répondrai bientôt.
Dans la perspective de la présidentielle de 2027, êtes-vous favorable à l’organisation de primaires, Bruno Retailleau, Valérie Pécresse et d’autres pourraient légitimement vouloir être candidats.
J’essaie de faire les choses dans l’ordre. Par le passé, la primaire a souvent été l’antichambre des guerres de chefs. La droite s’est abîmée et usée dans ces rivalités. La priorité, c’est que la droite retrouve son identité et sa lisibilité. Ensuite, elle doit retrouver un esprit collectif. Nos parlementaires, à l’Assemblée nationale et au Sénat, sont très unis. La refondation de la droite a commencé ; je suis convaincu que c’est ainsi que nous pourrons reconstruire la France.
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