Alexandre Soljenitsyne rappelait avec amertume que le mensonge communiste ne triomphait jamais que « par notre consentement ». Vladimir Poutine, ancien patron du KGB, n’a pas oublié ses fondamentaux. En s’indignant de ne pas être invité au 80e anniversaire de l’ouverture du centre d’exterminations d’Auschwitz, le maître a repris l’antienne usée de l’action « libératrice » de l’Armée rouge.
Cette « libération » ne fut, en réalité, qu’une découverte fortuite sur la route de Berlin, provoquant d’ailleurs la sidération des officiers devant l’ampleur de la tragédie humaine. Mais comme pour la tuerie de Katyn en 1940 ou l’« insurrection » de Varsovie en 1944, l’URSS n’a jamais cessé de réécrire l’Histoire à son profit. Cette instrumentalisation n’est pas inédite mais en plein conflit ukrainien, elle prend des contours singuliers. Réhabiliter la mémoire de l’ère stalinienne est devenu une stratégie poutinienne de restauration de la grandeur russe mais aussi de déstabilisation de celle de l’Occident. Nous ne sommes pas obligés d’y souscrire.
Le 27 janvier 1945, les troupes soviétiques découvrent Auschwitz, par hasard, après la prise de Cracovie. Aucun officier n’avait reçu d’instruction spécifique pour le « libérer » et personne ne sait d’ailleurs ce qu’il faut faire des survivants. En réalité, le camp n’est pas la priorité du Kremlin qui n’a qu’une obsession : faire en sorte que l’URSS arrive, avant les Américains, à Berlin. Six mois auparavant, à Varsovie, Staline avait déjà ordonné à Joukov d’abandonner l’Armée polonaise de la Résistance après les avoir poussés à l’offensive contre l’occupant nazi. Au-delà de l’impératif militaire, ce fut l’occasion de se débarrasser à peu de frais de cadres militaires rétifs à une occupation soviétique du pays. 200 000 Polonais payèrent le cynisme de Moscou. La Pologne venait de changer de tyran.
À Auschwitz, le camp est vide de ses bourreaux depuis 8 jours lorsque l’Armée rouge fait irruption. Nombre de prisonniers ont été emmenés de force dans une « marche de la mort » qui verra des milliers d’entre eux mourir sur les chemins de Haute Silésie. Les 7 000 rescapés du centre de mise à mort, dont des Polonais et des Tsiganes, sont livrés à eux-mêmes. Nombre de ceux qui choisissent de monter à bord des trains soviétiques mourront dans des wagons à munitions non prévus pour les emmener.
Après 1945, les délires complotistes de Staline visent encore de nombreux Juifs et Moscou n’a aucun scrupule à exfiltrer d’anciens cadres nazis vers ses centres de recherche. De nombreux soldats soviétiques partagent les mêmes préjugés antisémites avec les nazis. Les pogroms, les spoliations et les déportations massives de Juifs se poursuivent dans les territoires satellisés et « nettoyés » par l’URSS.
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« La question de la Shoah n’est même pas un sujet en URSS dans les années qui suivent le conflit mondial »
La question de la Shoah n’est même pas un sujet en URSS dans les années qui suivent le conflit mondial. L’URSS ne tire de sa « Grande guerre » que le souvenir de Stalingrad pour flatter le chauvinisme grand-russien et surtout faire oublier l’alliance honteuse du pacte germano-soviétique de 1939. L’antifascisme de la Guerre froide répond à considérations bien plus géopolitiques que morales, jusqu’au milieu des années 1970 lorsque le génocide quitte le champ historiographique pour s’imposer soudainement dans l’opinion publique.
L’URSS s’attribue dès lors le monopole de la libération des camps pour s’exonérer de ses propres crimes et dénoncer l’impérialisme de l’Ouest. Les intellectuels communistes relaient ces assertions établissant un lien direct entre la pensée nationaliste et le génocide juif. Ils contribuent à perpétuer le mensonge russe sur le massacre des 4 000 Polonais exécutés à Katyn en 1940 en attribuant la responsabilité aux Allemands. Il faut attendre 1985 pour le premier secrétaire du parti communiste, Mikael Gorbatchev, admette l’implication des troupes soviétiques dans cette tuerie collective. La mémoire de la Shoah efface alors le souvenir des plus de 100 millions de victimes du communisme. À la chute du Mur de Berlin, il n’y aura pas procès de Nuremberg du système communiste.
Même s’il apparaît comme une anomalie dans le système concentrationnaire, par sa double fonction d’exploitation et d’extermination, Auschwitz, lieu de mémoire de l’indicible, est devenu la métonymie de tous les génocides du siècle. Comme le souligna Jankélévitch, l’ampleur, la méthode industrielle et le silence enveloppant l’entreprise d’anéantissement l’ont rendu unique. Auschwitz a ouvert une béance dans la conscience universelle jusqu’à interroger la possibilité du Mal.
Quel est donc ce Dieu qui s’est tu à Auschwitz ? Hans Jonas y répond que ce n’est pas Dieu, qui a renoncé à sa Toute-puissance en créant l’aventure de la vie, mais la liberté humaine qui a rendu l’homme capable d’être inhumain. Auschwitz a montré qu’au milieu de la catastrophe absolue, des êtres ont fait advenir le meilleur pour sauver ce qu’il y avait encore d’humanité. Face au Mal, seul le discernement de notre responsabilité pourra réaliser la promesse d’un monde meilleur.
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