L’éternel sourire qu’affiche Nina Métayer s’estompe quelques instants. « Le gâteau a perdu tout son goût, on ne sent plus que le sucre ! Il faut repartir de zéro ! » La cheffe pâtissière ne cache pas sa déception. Les essais du jour sur la nouvelle recette de la collection « Fleur » à base d’agrumes ne sont pas concluants. « C’est une vraie désillusion, nous l’avons goûté il y a plusieurs heures et c’était délicieux, mais l’infusion du citron a été comme diluée après les tests en cellule de refroidissement. Nous allons recommencer étape par étape pour comprendre ce qu’il s’est passé… », regrette la jeune femme tout en relativisant. « Cela arrive tout le temps, ça fait partie du processus de création… Il faut près d’une soixantaine d’essais au total pour obtenir un gâteau inédit, donc on essaie des choses… Nous travaillons déjà sur les bûches de Noël 2025 ! »
Ce temps accordé à la recherche et au développement, est l’un des secrets du succès éclatant de la pâtissière. « Je ne rends de compte à personne… Je peux perdre de l’argent sur un dessert, ce n’est pas grave, on ne se met pas de limites », s’enthousiasme Nina Métayer qui assure tenir à son indépendance financière, « c’est ce qui apporte une grande liberté dans la création. De cette indépendance naît l’audace ! Si nous devions rendre des comptes à des financiers, le résultat serait sans doute plus classique… »
Près de 1 500 gâteaux par jour, tous faits de manière artisanale, sortent du laboratoire « Delicatisserie », situé à Issy-les Moulineaux, à quelques kilomètres de Paris. Les premières équipes de pâtissiers, Nina en tête, arrivent à 4 h du matin pour que les livraisons soient prêtes trois heures plus tard. Elles sont destinées aux clients de la pâtisserie en ligne crée en 2020, aux points de vente au Printemps du Goût ou aux Halles Biltoki, situées près du laboratoire. La cheffe virevolte autour de sa garde rapprochée, constituée d’Alicia, sa responsable de création, et d’Aïnhoa, la jeune commise de 25 ans, qui se réjouit d’apprendre beaucoup à son contact : « Nina a une vision différente de celles des autres… Souvent en pâtisserie, on voit les choses en grand pour un résultat moyen. Nina, c’est l’inverse, elle est très terre à terre, elle part de la base du produit et arrive à des résultats grandioses ! »
Un talent qui lui vaut depuis plusieurs années déjà de multiples distinctions, dont celle de la meilleure pâtissière du monde (2024 et 2023). Emmanuel Macron, pour lequel elle a supervisé les desserts de plusieurs dîners d’État, lui remet l’année dernière les insignes de chevalier de l’Ordre national du Mérite. Elle est sollicitée pour des émissions de télévision, pour participer à des jurys internationaux ou des master class. Rien ni personne ne résiste à cette jeune femme solaire, originaire de La Rochelle, qui admet n’avoir jamais « imaginé tout ça » et qui garde la tête froide. « Je suis très fière de représenter l’artisanat français à l’étranger mais ces distinctions, c’est juste le début de tout ! Maintenant il faut être à la hauteur ! », affirme celle que rien ne prédestinait à ce métier.
À 15 ans, Nina, en pleine crise d’adolescence, vit mal le lycée où « elle se trouve nulle dans tout ». « Je ne retenais rien, j’étais dyslexique, je ne tenais pas en place. » Une rencontre avec une camarade bilingue lui donne envie de partir à l’étranger. Ce sera le Mexique. « Là-bas, comme j’étais française, tout le monde pensait que je savais faire du pain. Je me suis dit que j’allais repartir en France pour apprendre et revenir monter ma boulangerie à Tulum. »
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Parallèlement à un bac littéraire qu’elle obtient finalement, en partie grâce à l’espagnol, elle passe un CAP boulangerie, mais peine à trouver un apprentissage. « C’était un métier très masculin, les sacs de farine pesaient autant que moi ! Je n’avais pas le bon profil ! » À La Rochelle, un boulanger, Denis Baron, accepte finalement de l’accueillir. C’est la révélation. Il l’envoie chez un ami en Australie où elle pétrit de la pâte à pizza. Nina veut finalement ouvrir une pizzeria avec sa sœur en Italie, mais sa rencontre avec Mathieu, son futur mari, la retient à Paris, où elle s’inscrit à l’école Ferrandi pour apprendre la pâtisserie. Premier poste de commis aux côtés de Yannick Alléno au Meurice, suivi de l’hôtel Raphael, du Café Pouchkine, et de Jean-François Piège.
Ses pâtisseries sont aussi belles à regarder que délicieuses pour les papilles
Le reste est un ascenseur vers le conte de fées que l’on connaît désormais. Elle lance sa propre marque avec le soutien de son époux qui gère le marketing et le développement. Son père s’occupe du site internet, sa maman de la rédaction des contenus écrits. Chez les Métayer, tout se fait en famille. Ses pâtisseries sont aussi belles à regarder que délicieuses pour les papilles. Elles prennent la forme de roses, de pâquerettes ou de sapins… Au labo, une pièce est consacrée à la fabrication de moules originaux pour satisfaire sa créativité. Qu’est ce qui fait encore rêver Nina ? « Continuer à me faire plaisir à travailler en équipe, avec des gens que j’aime, c’est vraiment cela mon moteur », affirme la cheffe.
« J’espère bien sûr que mes desserts sont bons, mais croyez-moi ce qui fait la différence, c’est comment, avec une équipe, on porte tout cela. C’est l’accumulation de détails… L’âme et le cœur qu’on met dans chaque geste… » Nina Métayer vient de racheter les deux boulangeries du retraité Mr Baron, l’homme qui lui avait laissé sa chance lorsqu’elle cherchait un apprentissage. La plus belle des récompenses.
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