Benoît Solès est un sacré décodeur ! Les cryptogrammes, toutes les combinaisons indéchiffrables et énigmatiques n’ont décidément plus aucun secret pour lui. Dans sa pièce La machine de Turing, il interprétait le génie des mathématiques britannique qui avait réussi à déchiffrer l’Enigma, l’appareil de communication utilisé par les nazis. Un exploit qui a influé sur le cours de la Seconde Guerre mondiale, mais n’empêchera pas Alan Turing d’être condamné pour son homosexualité.
Depuis sa création en 2018, cette pièce récompensée par quatre Molières a été jouée plus de mille fois dans le monde entier. Elle tient toujours l’affiche à Paris, au théâtre Michel. Dans Le secret des secrets, sa nouvelle pièce dont il signe aussi la mise en scène, il est à nouveau question de codes à décrypter : il s’agit cette fois de révéler rien de moins que les mystères de la pierre philosophale, capable de transformer le plomb en or et de prolonger la vie.
« Je n’ai rien d’un matheux, je suis vraiment un littéraire, raconte Benoît Solès. Je serais bien incapable d’expliquer pourquoi ces deux pièces ont en commun de jouer sur le langage crypté, à part ma passion pour les mystères et l’ésotérisme. Depuis mon adolescence, j’ai été bercé par Le Nom de la rose et Da Vinci Code, des références très importantes dans mon imaginaire. L’histoire du code secret est presque secondaire, c’est l’aventure humaine qui compte, la curiosité qu’elle suscite, le rapport au monde qu’il y a derrière. »
La façon dont la pièce a vu le jour est déjà une belle aventure à elle seule, tellement rocambolesque ! Elle est pourtant bien réelle. Le point de départ est un article lu en plein vol entre Paris et Toulouse sur des chercheurs ayant découvert les secrets de la pierre philosophale. L’histoire est assez dingue pour qu’il pressente tout de suite qu’il tient là un sujet en or pour son prochain spectacle. Quand il se met à fouiller un peu plus, il n’est pas au bout de ses surprises. « Mon instinct a été bon. J’entends parler de celle grâce à qui tout a commencé, Megan Piorko, une jeune femme américaine qui préparait son doctorat à Londres. Et c’est vraiment en secouant une armoire, en allant chercher un livre à la British Library qu’un autre ouvrage lui est littéralement tombé sur la tête. » Il a été écrit au début du XVIIe siècle par John Dee, l’astrologue de la reine Elizabeth Ire qui signait ses textes 007 : les doubles zéros pour dire que c’était réservé aux yeux de la reine, et le 7, son chiffre de prédilection, servait de paraphe. Dans ce fameux livre, la chercheuse découvre deux feuilles de parchemin collées à l’envers avec un texte manuscrit codé.
Ce code à substitution polyalphabétique va finir par révéler ses secrets, une recette de la pierre philosophale. Les ingrédients ? Du mercure, du soufre, du sel et de l’antimoine (un semi-métal proche de l’arsenic), pour le côté chimique, correspondant à des états successifs de conscience associés à une couleur, pour le côté psychologique, quasi philosophique. « Mais personne ne connaît la fin de la recette : c’est l’état de l’alchimiste qui permettra d’accéder à la dernière étape. » Benoît Solès a rencontré Megan Piorko qui lui a raconté tous les secrets liés à cette découverte et l’a conseillé, pour respecter la véracité du travail scientifique et historique. Il a aussi reçu un soutien inattendu, celui du grand maître d’une société secrète, les Rose-Croix, qui, ayant eu vent de son projet sur l’alchimie, l’a appelé pour échanger avec lui. À partir de là, le dramaturge a brodé un récit d’aventure à huit personnages et quatre comédiens, qui nous emmène entre 1630 et aujourd’hui, entre l’Angleterre et la Russie, entre le Da Vinci Code et Le Porteur d’histoire, la pièce d’Alexis Michalik.
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« Je n’ai rien d’un matheux, je suis vraiment un littéraire »
Auteur, metteur en scène, comédien, mais également président de la maison Jean Cocteau à Milly-la-Forêt et conseiller régional en Île-de-France, à la charge d’une commission d’aide à l’écriture des scénarios, Benoît Solès ne se résume pas en une ligne de code ni en une seule formule. De son propre aveu, il n’est pas si facile à analyser. « Je pense que je projette, malgré moi, quelque chose d’assez différent de qui je suis réellement. Je vais en septembre prochain jouer dans Killer Joe, une pièce où je tiens un rôle très différent de Turing, beaucoup plus sombre puisqu’il s’agit d’un tueur. » Le metteur en scène lui a dit qu’il dégageait, avec ses yeux clairs, un côté très froid. « Alors que je suis un gentil qui doute beaucoup de lui. Si on veut vraiment me décrypter, il faut lire mes pièces. J’y révèle beaucoup de moi. »
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