Dans son récent discours à Davos, où il s’en est vivement pris à l’establishment mondialiste d’Occident, Javier Milei a cité une philosophe bien connue dans le monde anglo-saxon, mais beaucoup moins en France, sauf dans les milieux libertariens : Ayn Rand. Il n’a pas, à cette occasion, cité d’autres philosophes – même si on le sait fervent lecteur de Murray Rothbard, une autre grande figure de la pensée libertarienne.
J’ai lu Ayn Rand assez jeune. J’avais souvent croisé son nom et compris qu’il fallait se frotter à son œuvre : elle comptait à droite. Honnêtement, elle m’avait plutôt lassé. J’avais le sentiment de pénétrer dans un système intellectuel aride et autoréférentiel, « l’objectivisme » (c’est ainsi qu’elle appelait sa philosophie), qui me faisait penser à une forme de marxisme de droite. J’étais resté sur une mauvaise impression.
Mais depuis peu, j’ai recommencé à la lire. Son maître ouvrage, Atlas Shrugged, paru en 1957, et traduit en 2011, malgré ses 1 400 pages, son caractère de « livre à thèse » et le fanatisme qui le traverse, représente un immense plaidoyer pour une liberté individuelle jugée supérieurement créatrice. Dans une Europe croulant sous un techno-socialisme repeint en vert, et qui pourrait demain ressembler à une immense Wallonie, l’ouvrir n’est pas vain.
Ayn Rand imagine donc un monde où le socialisme s’est emparé des esprits. L’étatisme et ses règlements façonnent une humanité anesthésiée. On se croirait en plein Green Deal. Le ressentiment et l’envie dominent tout. Quant aux forces productives, elles sont dominées au service d’une bureaucratie hégémonique. On laisse aux éléments productifs seulement ce qu’il faut pour respirer un peu et faire vivre le système.
Alors ces éléments productifs décident de faire grève et de se retirer d’un monde qui les a soumis à l’assujettissement collectiviste. Le roman trouve son point fort dans le discours de John Galt, la figure aussi centrale qu’énigmatique qui traverse le récit. À travers lui, Ayn Rand y expose sa vision de l’être humain, en plus de dénoncer tout ce qui le mutile, l’écrase, l’aliène. Chez les libertariens, il s’agit de l’équivalent philosophique du Manifeste du Parti communiste.
La suite après cette publicité
Alors pourquoi ce livre connaît-il une réception compliquée en France ? Est-elle à ce point réfractaire au libéralisme ? Ce n’est pas certain, même si elle a tendance à privilégier le libéralisme politique qui va de Montesquieu jusqu’à Jean-François Revel, en passant par Tocqueville, Constant et Aron. En fait, la France s’est laissée convaincre qu’elle était d’abord une construction de l’État, en oubliant qu’on ne saurait confondre ce dernier avec l’État-providence, et croit le libéralisme antinational.
J’ai une estime immense pour un auteur trop souvent méprisé : Louis Pauwels. On connait ses romans, sa tentation ésotérique et son emballement pour la Nouvelle Droite. On a tendance à oublier qu’à la tête du Figaro Magazine, qu’il a fondé, il fut un des plus grands éditorialistes du dernier siècle. Sa période 1981 à 1986 est selon moi sa plus féconde. Il faut le redécouvrir. J’en reparlerai dans cette chronique.
Le libéralisme est une doctrine connectée à l’élan vital au cœur de notre civilisation
Converti au libéralisme, qui était aussi chez lui un conservatisme, il chantait à sa manière un patriotisme occidental. Il s’était d’ailleurs passionné pour Reagan. Il ne se contentait pas de polémiquer contre les conséquences du socialisme, il attaquait aussi ses principes, comme l’égalitarisme, l’utopisme et l’esprit victimaire. Il savait, autrement dit, que le libéralisme n’était pas qu’un système de règles, mais une doctrine connectée à l’élan vital au cœur de notre civilisation.
L’Occident n’a-t-il pas vu son élan vital entravé, gainé par la bureaucratie, culpabilisé par la mauvaise conscience post-coloniale ? N’est-ce pas cette fatigue existentielle qui le tue, ou du moins, qui le condamne à un grand endormissement ? Il se pourrait qu’il ait besoin demain d’une thérapie de choc libérale pour reprendre des forces.
Source : Lire Plus