De l’escrimeuse tricolore Ysaora Thibus aux championnes de tennis Iga Swiatek ou Simona Halep, nombreux sont les sportifs à solliciter le professeur Jean-Claude Alvarez après un contrôle antidopage positif. RMC Sport est allé à la rencontre de celui qui a réussi à prouver l’innocence de plusieurs athlètes grâce, notamment, à l’analyse capillaire.
L’immeuble en briques ne paie pas de mine à première vue. Pourtant au sein de l’hôpital Raymond-Poincaré APHP de Garches, le service de toxicologie du professeur Jean-Claude Alvarez s’est forgé une solide réputation dans le monde de l’antidopage. Son travail a permis de prouver la contamination dans les affaires des joueuses de tennis Simona Halep puis plus récemment Iga Swiatek ou encore la championne du monde 2022 d’escrime Ysaora Thibus. Pour ne citer que ces cas.
“Dans le cadre antidopage, mon travail est simple : tenter de prouver qu’un sportif n’est pas dopé quand je suis convaincu que ce n’est pas du dopage, et montrer que l’on est sur un cas de contamination. C’est-à-dire qu’il a été positif à une substance mais sans l’avoir prise de lui-même. Aujourd’hui nous sommes dans un environnement où nous sommes tous contaminés ou contaminables. L’eau du robinet peut être contaminée par des médicaments, mais vous ne le savez pas. Si je vous fais une analyse d’urine vous serez peut-être désagréablement surpris parce qu’on va trouver des molécules à très faible concentration, du picogramme par millilitre c’est de l’infiniment faible. Cela ne veut rien dire”, présente Jean-Claude Alvarez. Immersion au cœur d’une méthode de pointe de l’antidopage.
Le cœur de métier du service était le médico-légal, il s’est étendu à l’antidopage. Depuis l’affaire Simona Halep dont le travail du laboratoire a permis de conclure à une contamination de la joueuse roumaine, les athlètes se bousculent aux portes du service toxicologie de Garches. La spécialité du professeur Alvarez qui a fait la différence dans ses dossiers : l’analyse capillaire. C’est la première étape du processus pour prouver si un athlète est dopé ou contaminé : “Quand vous prenez une substance, elle va rester dans le sang en moyenne 24 heures, deux ou trois jours dans vos urines, dans les cheveux cela va rester tant que vous ne vous coupez pas les cheveux. Si vous avez des cheveux de 5/6 cm, c’est 5 ou 6 mois d’antériorité. Je pourrais dire tout ce que vous avez pris pendant cette période”, affirme le pharmacologue. Dans le dossier Swiatek, cette analyse a révélé une absence de trimétazidine dans les cheveux de la Polonaise, seulement une microdose dans ses urines.
En bruit de fond dans le bureau du professeur Alvarez, on entend comme un vrombissement de moteurs. À quelques mètres, c’est le cœur du réacteur. Le laboratoire où toute l’équipe du professeur s’active sur des prélèvements en tout genre. Quand on entre dans le laboratoire, on fait face à d’énormes caissons à la pointe de la technologie qui analysent les cheveux molécule par molécule, ce sont des spectromètres de masse. “Quand on analyse les cheveux, on les broie. On va faire segment par segment. Centimètre par centimètre. Je vais remonter dans le temps et savoir ce qu’a pris le sportif. Je vais quantifier la concentration dans les cheveux, et pouvoir dire : vous en avez pris une fois, une dizaine de fois, ou tous les jours et là c’est du dopage.” L’analyse capillaire n’est pas aujourd’hui utilisée dans les procédures de l’agence mondiale antidopage qui s’appuie sur les analyses sanguines et urinaires.
Avec le résultat de ce test et sa méthode de travail, le professeur peut conclure si c’est compatible avec une contamination ou non. Si la concentration est infime, ou beaucoup plus faible qu’une quantité synonyme de dopage, l’athlète apporte alors tous les produits qu’il prend au quotidien : compléments alimentaires, crèmes, baume à lèvres, médicaments etc. Une fois le produit détecté avec la molécule concernée par le contrôle antidopage, l’athlète va acheter une boite neuve du produit.
“Parce que l’on peut toujours dire que l’athlète a contaminé lui-même sa poudre par exemple en mettant lui-même le produit.” Pour le cas Swiatek (contrôlée positive à la trimétazidine hors compétition), la numéro 2 mondiale s’est rendue dans la pharmacie où elle avait acheté sa boite de mélatonine. Elle a pu en prendre une autre issue du même lot. Dans cette autre boite neuve de mélatonine, des traces de trimétazidine ont été également détectées. Une autre boite neuve fermée est mise de côté pour une contre-expertise. “Avec ce type de produit, une microdose n’influe pas sur les performances de l’athlète. On n’est pas sur de l’EPO, des microdoses d’EPO cela permet d’avoir des effets. Là on est sur des produits qui ne marchent pas avec des microdoses.”
Place à l’étape suivante : la reproduction des faits. L’idée étant de reproduire le même cheminement ou la même routine de journée que lors du contrôle antidopage positif de l’athlète concerné. Dans l’affaire Ysaora Thibus, le professeur Alvarez a fait rejouer une journée complète à la championne du monde d’escrime et son compagnon avec les mêmes habitudes, les mêmes routines de couple, et les mêmes timings. Il est allé jusqu’à effectuer des prélèvements au sein de son appartement et sur ses propres ongles après avoir touché des objets. Avec un résultat identique au taux de contamination d’Ysaora Thibus (2 picogrammes détectés dans ses cheveux, contre 65 pour son compagnon qui prenait de l’ostarine). “J’ai testé la brosse à cheveux d’Ysaora. Il y en avait partout (de l’ostarine, un agent anabolisant, NDLR), ils étaient dans un milieu de contamination. J’ai utilisé le flacon que son compagnon avait utilisé, je l’ai pris dans les mains, j’ai fait un dosage de mes ongles, j’étais positif. Ce sont des produits qui contaminent très facilement. Mais cela ne m’a rien fait. Je n’ai pas pris de muscle de façon exagérée. C’est ça la contamination ce n’est pas du dopage.”
Dans l’affaire qui a concerné Mouhamadou Fall, le sprinteur français, le pharmacologue a collaboré avec une personne témoin volontaire âgé d’une vingtaine d’années : “Il a pris exactement la même quantité de poudre (de complément alimentaire) qu’a pris Mouhamadou, et j’ai fait une cinétique dans les urines pendant 24 heures. J’ai mesuré la concentration. En l’occurrence, j’ai exactement la même concentration, c’est le hasard hein, chez mon volontaire que chez Mouhamadou 4h30 après l’administration. Ce n’est pas du dopage, c’est de la contamination.”
Dans les dossiers Swiatek ou Thibus (appel en cours de l’agence mondiale antidopage pour cette dernière), l‘analyse capillaire a été décisive et a fait pencher le verdict vers une relaxe. Mais attention le professeur Alvarez n’est pas l’ennemi de l’antidopage puisque son processus n’a pas pour objectif de dire que tous les cas de dopage relèvent de la contamination. Selon lui, l’analyse capillaire doit intervenir en complément des dispositifs existants utilisés par les instances antidopage.
Il n’a pas non plus de baguette magique. Un dossier qu’il vient de traiter l’a amené à la conclusion que l’athlète britannique concernée était dopée. Les analyses capillaires indiquant un taux anormalement élevé. En revanche se pose un autre débat : les seuils de contrôle antidopage sont-ils trop bas avec l’évolution technologique à la disposition des laboratoires ? Par ailleurs, sont-ils adaptés aux habitudes de consommation d’aujourd’hui ? Dernier exemple qui pourrait poser à l’avenir : que se passera-t-il suite à la conclusion de l’accord Mercosur qui autorise l’importation de viandes en provenance d’Amérique du Sud vers l’Union Européenne ? Sachant que les normes sont différentes du vieux continent et que dans cette zone des antibiotiques activateurs de croissance sont utilisés dans la culture bovine.
Source : Lire Plus