Invité exceptionnel d’Anaïs Matin à quelques jours de la fin officielle de sa mission à la tête de Paris 2024, Tony Estanguet est revenu sur l’extraordinaire succès de ces Jeux olympiques.
Tony Estanguet, merci d’être sur RMC pour terminer cette année exceptionnelle pour vous. Est-ce que c’est la plus belle année de votre vie?
C’est vrai que c’est difficile de répondre “non” à cette question parce que ça a quand même été une année absolument dingue, magique… Je n’imaginais pas que ça pourrait se passer aussi bien finalement. Ça a été quand même un carton plein, ces Jeux. Ça a mis du temps à sourire, mais quand ça s’est mis effectivement sur les bons rails, c’était formidable de voir cette émotion collective. J’ai toujours cru aux Jeux, mais là j’avoue que ces Jeux-là, même moi, ils m’ont vraiment surpris.
Si vous ne pouviez garder en mémoire qu’un seul moment de 2024, ce serait lequel?
Mais c’est terrible, cette question (rires)! Comment voulez-vous que je ne choisisse qu’un seul moment, c’était tellement magique… Entre les Jeux olympiques et les Jeux paralympiques, on a vécu des émotions… S’il n’y a vraiment qu’un seul moment, je dirais le moment de bascule parce que c’est comme ça que moi je l’ai senti: la cérémonie d’ouverture sur la Seine sous un déluge apocalyptique, qui était quand même très stressante pour nous. Quand cette cérémonie se termine avec l’Hymne à l’amour par Céline Dion, cette vasque qui monte dans le ciel, je me dis “si on a survécu à ça, on est maintenant inarrêtable et les Jeux sont lancés, maintenant place au sport”. Et moi, j’ai senti quand même qu’il y avait eu un moment de bascule à ce moment-là et que l’engouement populaire y est né. Donc même si derrière j’ai vécu des semaines exceptionnelles, s’il y a vraiment un moment qui pour moi a fait la différence, c’est celui-là.
En effet, il y avait eu avant beaucoup de critiques autour de l’organisation des Jeux. C’est encore plus jouissif de savoir que vous avez réussi à les faire taire?
Je ne sais pas si c’est le bon qualificatif, mais en tout cas, je peux vous dire qu’on s’est accroché parce que c’était effectivement un vrai combat. On a été accusé de tout et de rien et ça nous a poussés à être bons, à être meilleurs peut-être aussi. Donc quelque part, il n’y a pas du tout de revanche par rapport à ça. Moi, je suis fier de voir qu’il y a dans ce pays des gens qui y ont cru depuis le début, qui se sont accrochés, des acteurs publics, des acteurs privés. Il y a quatre entreprises partenaires et un partenariat très fort avec la ville de Paris, avec l’État, avec la région, avec tous ces acteurs qui ont pris leurs responsabilités aussi pour que ça marche. Et dans ce pays, quand on travaille tous ensemble, on est quand même capable de faire des choses extraordinaires. Pour moi, c’est ça la grande leçon de la réussite de ces Jeux. J’étais aussi fier d’être à la tête de ce projet parce que j’ai senti, même s’il y avait beaucoup de critiques et de polémiques, qu’il y avait des acteurs engagés qui étaient prêts à assumer les décisions et à ne pas sombrer dans toutes ces critiques.
Ce furent les JO les plus suivis de l’histoire, regardés par environ 5 milliards de personnes à la TV, sur plateformes numériques. En plus, vous terminez dans le vert avec un résultat excédentaire de 26,8 millions d’euros. Il va aller où cet argent exactement?
C’est formidable quand même de terminer ces Jeux avec un excédent. Qui aurait cru que ce serait possible? Ça a aussi été un combat dans le combat, de réussir à financer ces 4 milliards et demi d’euros de l’organisation des Jeux à 95% par de l’argent privé. Quel défi! Et en plus, il y a près de 27 millions d’euros qui vont être investis pour développer le sport dans ce pays. Quand on voit à quel point le sport nous a offert les grandes émotions de cet été, mon souhait c’est qu’on continue à investir dans le sport. Il va donc y avoir ces 27 millions d’euros qui vont être investis dans les prochains mois et c’est une très bonne nouvelle. Et j’espère que ce sera un élan qui sera accompagné par d’autres investisseurs, publics ou privés, pour que l’on continue à utiliser le sport pour tout ce qu’il peut apporter à notre société.
En tout cas, ça tombe bien parce que l’après JO était plutôt amer avec la baisse annoncée du budget du ministère des Sports. D’ailleurs, vous, comment l’avez-vous vécue?
C’est sûr que c’est difficile… Après, on traverse quand même aussi une période compliquée donc tout le monde doit faire des efforts et je comprends que les arbitrages soient très compliqués à trouver. Je pense qu’il faut aussi être responsable. On ne peut pas vivre éternellement dans des situations de déficit. Mais je me battrai toujours pour qu’on défende le sport et je crois que ce serait faux de dire que le sport ne doit être perçu que pour les sportifs de haut niveau ou les quelques émotions. Je pense que le sport, c’est un facteur de cohésion, c’est un facteur de santé, c’est un facteur de développement aussi, c’est un secteur d’activité qui a plutôt vocation à se développer. Je pense qu’il faut investir dans le sport parce qu’on l’a vu, ça a quand même un pouvoir qui est assez phénoménal.
Et l’après JO, ça n’a pas été trop compliqué à vivre pour vous? Vous n’avez pas déprimé?
Il y a eu un petit ascenseur émotionnel quand même parce qu’on est monté très très haut dans les tours. Je pensais avoir tout vécu en termes d’émotion à travers ma carrière d’athlète. Au final, je crois que je suis allé encore plus haut avec ces Jeux de Paris 2024. J’étais tellement ému de voir les Français heureux, souriants, fiers, rassemblés, derrière des athlètes olympiques, derrière les athlètes paralympiques. Cette rencontre avec les Jeux paralympiques, ça a été aussi un peu le défi dans le défi, parce que c’était la première fois que notre pays organisait ces Jeux paralympiques. On est tellement heureux d’avoir réussi là aussi, que les Français se disent émus et peut-être avec un regard un peu plus bienveillant sur le handicap, sur la tolérance envers la diversité. On a du chemin à faire dans ce pays pour mieux lutter contre cette discrimination autour du handicap et je pense que les Jeux paralympiques ont peut-être aidé à un élan vers cet objectif.
Je vous pose cette question parce que certains athlètes ont avoué que l’après-Jeux était compliqué. Léon Marchand s’est dit épuisé, Florent Madoudou s’est senti isolé… Il y a même de l’amertume chez certains, comme Lisa Barbelin, médaillée de bronze en tir à l’arc. C’est le sentiment de ne plus être personne depuis les JO?
C’est dur et je comprends que ce soit dur parce que forcément ça a été un tel choc émotionnel. On n’est pas habitué à ça. On n’avait jamais vécu ça dans ce pays. Jamais. Jamais il n’y avait eu une telle ambiance. Jamais il n’y avait eu autant de supporterisme positif. C’était fou de voir cette bienveillance, cet amour presque, envers les athlètes, ça a fait tellement de bien.
Le problème, comme le dit Lisa Barbelin, c’est que ça n’a même pas permis de faire venir des sponsors… Vous le regrettez, ça?
Je pense qu’on n’a jamais levé autant d’argent dans le sport, donc c’est faux de dire que ça n’a pas permis de lever des sponsors. Je pense qu’il n’y a jamais eu autant d’athlètes qui ont été accompagnés par des sponsors. Donc la dynamique des Jeux de Paris 2024 a quand même chamboulé tout ça. Il y a des dizaines d’entreprises qui n’avaient jamais fait de sponsoring qui se sont mises à sponsoriser les athlètes. Donc c’est sûrement pas parfait et je comprends que les athlètes, j’en ai été un, on cherche toujours quelque part à faire mieux, mais les athlètes ont bénéficié je pense de bonnes conditions de préparation pour ces Jeux. C’est aussi sûrement un peu pour ça qu’il y a eu un record historique du nombre de médailles. Mais c’est vrai que ce qui est dur, c’est que derrière, ça s’arrête. Et quand on enlève la lumière et les projecteurs, on sent que tout le monde a tendance un peu à vouloir passer à autre chose. Et donc là, il faut résister. Et il faut appeler les gens à continuer à investir dans le sport parce qu’il n’y a aucune raison que l’émotion qu’on a vécue cet été disparaisse. Je souhaite qu’autour des athlètes, autour du sport, on puisse continuer à investir pour justement faire vivre aux Français cette émotion collective.
Et maintenant, Tony Estanguet, que va-t-il se passer pour vous? Votre mission est terminée, le prochain défi c’est quoi? Michel Barnier et Emmanuel Macron vous ont proposé il y a quelques mois le poste de ministre des Sports, ce n’était pas le moment… Mais franchement, est-ce que ça fait partie de vos ambitions? Certains vous voient même à Matignon ou à l’Élysée après Paris 2024. Élysée 2027?
Moi, je me vois déjà un peu en vacances là (rires). Je sors d’une dizaine d’années de ma vie qui a été une aventure folle où je n’ai pas réussi à prendre plus de deux semaines consécutives de vacances. Donc là, j’ai besoin de couper quelques semaines pour justement prendre un peu de recul. Ce qui m’est arrivé était extraordinaire, mais j’ai besoin aussi de me retrouver, de retrouver les miens, de me ressourcer, de digérer. Parce qu’on parlait d’émotions pour les athlètes, ça a été aussi mon cas. J’ai adoré chaque instant, ça n’a pas toujours été simple, mais franchement, j’ai beaucoup appris aussi dans cette aventure. Là, j’ai besoin de me ressourcer un petit peu, quelques semaines, et puis ensuite de retrouver un nouveau défi. Je ne peux pas vous dire aujourd’hui parce que je n’ai pas envie de répondre et de réfléchir même.
Mais vous ne dites pas non éventuellement au poste de ministre des Sports dans le futur…
On verra. Je me suis déjà exprimé. Je pense qu’à court terme, j’ai acquis des compétences dans le sport que je pense pouvoir utiliser plutôt côté sportif que côté politique. Mais encore une fois, c’est trop tôt aujourd’hui pour répondre à ces questions-là. J’aime bien aller au bout des choses. Je suis allé au bout de cette aventure Paris 2024. Elle s’arrête officiellement pour moi le 31 décembre. Derrière, c’est quelques semaines de vacances et puis ensuite on essaiera de prendre les bonnes décisions pour repartir au combat.
Dernière question, Tony Estanguet. Que souhaitez-vous aux Français et aux auditeurs de RMC pour 2025?
Je leur souhaite du bonheur, je leur souhaite de l’amour… Déjà, je les remercie parce que franchement, grâce à eux, on a vécu une année 2024 extraordinaire et le succès populaire de ces Jeux, on le doit aux Français. Parce que vraiment, il y a eu un moment de bascule où les Français se sont appropriés ces Jeux et nous ont fait rêver aussi à travers cette ambiance et cette bienveillance. Ça faisait du bien de voir les Français rassemblés, unis, heureux autour de cet événement qu’étaient les Jeux olympiques et paralympiques. Merci aux Français, je leur souhaite le meilleur pour 2025 et de faire un peu de sport parce que le sport, c’est bon pour le moral, c’est bon pour la santé, c’est bon pour tout finalement.
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