L’essentiel
- Le 24 décembre à 20 heures, le conducteur d’un TGV qui circulait sur la ligne à grande vitesse Sud-Est aurait sauté du train en marche.
- Ce suicide, le jour du Réveillon de Noël, a entraîné de nombreux retards sur la ligne à grande vitesse mais aucun blessé, grâce au système de sécurité de la SNCF.
- Le train, qui circulait entre 200 et 300 km/h, s’est en effet automatiquement arrêté en l’absence de son conducteur, évitant ainsi un accident ferroviaire dramatique.
Dès la formation, les conducteurs de TGV sont prévenus : les « accidents de personnes », ça arrive. Le long des rails, les cheminots font face à la mort et beaucoup deviennent, à leur corps défendant, l’instrument du suicide des autres. Mais ce 24 décembre, réveillon de Noël, lorsqu’un TGV Inoui a activé le freinage d’urgence à Crisenoy, en Seine-et-Marne, le conducteur était certes l’instrument, mais aussi la victime.
Bruno R., un cheminot expérimenté de 52 ans, aurait sauté de sa cabine alors que le TGV roulait à une vitesse comprise entre 200 et 300 km/h, selon la SNCF. Ce suicide tragique n’a, heureusement, pas entraîné de blessés même si des centaines de voyageurs ont passé leur réveillon dans des wagons immobilisés. « Bruno, s’il s’est suicidé, savait qu’il ne mettait pas en danger les passagers », assure un cheminot à 20 Minutes, sous couvert d’anonymat.
« Le train est un moyen de transport extrêmement sûr. Si je voulais être cynique, je dirai même que, quitte à se trouver à bord d’un moyen de transport avec un conducteur suicidaire, il vaut mieux que ce soit à bord d’un train plutôt qu’un avion ou un autocar. Un conducteur de TGV ne peut pas mettre en danger ses voyageurs », explique Arnaud Aymé, spécialiste des transports et directeur général France de SIA Partners. Et d’ailleurs, malgré le drame, « à aucun moment les voyageurs n’ont été mis en danger », martèle-t-il.
Un système de veille automatique
Depuis les années 1940, il est en effet obligatoire pour les trains d’être équipés d’un dispositif de veille automatique. « Ces systèmes ont été mis en place lorsqu’on est passé de deux à une personne à l’avant du train. Dans les trains à vapeur, il y avait celui qui conduisait et celui qui mettait de charbon, mais dans les années 1940, on passe à la généralisation de l’agent seul dans les trains, contrairement aux avions, où il y a systématiquement un pilote et un copilote », explique Arnaud Aymé. L’objectif de ces systèmes est de vérifier à tout instant que le conducteur est bien éveillé et à son poste. En cas d’endormissement, d’évanouissement, d’absence ou de mort, le train, sans pilote, doit s’arrêter. En France, les TGV utilisent le VACMA, la veille automatique avec contrôle du maintien d’appui.
Le conducteur « doit alternativement appuyer puis relâcher soit une pédale avec le pied soit un contacteur avec la main. S’il ne relâche pas la pression toutes les 30 secondes ou s’il ne réappuie pas sur le mécanisme au bout de 5 secondes, une alarme très bruyante se déclenche dans la cabine de conduite pour le faire réagir », explique la SNCF dans un communiqué de presse publié après le drame.
Si l’avertissement sonore ne suffit pas, les moteurs se coupent et le freinage d’urgence s’enclenche. C’est ce qu’il s’est produit mardi soir. « Ce système permet de vérifier que le conducteur est bien conscient et vigilant. La tentative de suicide d’un conducteur est rarissime, mais un malaise ou une crise cardiaque, ça peut arriver ! », souligne Arnaud Aymé.
Un triste « symbole »
Si une porte-parole de la SNCF a déclaré que, « de mémoire », c’était la première fois qu’un tel drame se produisait, il y a eu en réalité au moins un précédent. Le 12 mai 1985, un conducteur de TGV s’était suicidé en se jetant de sa cabine, laissant le train sans pilote. A l’époque déjà, le système de sécurité avait, heureusement, pris le relais. « En France, le transport ferroviaire est particulièrement sûr avec des règles rodées depuis très très longtemps, ils n’ont pas particulièrement évolué depuis 1985 », souligne Arnaud Aymé.
Un tel suicide d’un cheminot en service et sur son lieu de travail reste extrêmement rare et a bouleversé de nombreux membres du ferroviaire. L’enquête doit désormais déterminer si Bruno R. a effectivement attenté à ses jours et, si tel est le cas, pourquoi. « Le symbole de se jeter d’un train le 24 au soir, ce n’est pas anodin, ce n’est pas anecdotique […] quand on fait ça sur son lieu de travail, ce n’est jamais anodin », réagissait Bérenger Cernon, député FLI-NFP de l’Essonne, syndicaliste CGT Cheminots et ancien conducteur de train sur BFMTV mercredi. « À supposer que ce soit un suicide, nous savons tous que c’est aussi porteur d’un message », renchérit auprès de 20 Minutes un cheminot anonyme. L’enquête devra donc tenter de faire la lumière sur les raisons du désespoir de ce conducteur, très apprécié et engagé.