Au premier abord, les deux affaires semblent bien différentes. En août 1988, le corps de Nathalie Boyer est retrouvé le long des voies ferrées à Saint-Quentin-Fallavier. L’adolescente de 15 ans, portée disparue la veille, a été égorgée. Douze ans plus tard, en mai 2000, le cadavre de Laïla Afif, 40 ans, est découvert flottant dans le Bourbre, à la Verpillière. Cette mère de cinq enfants a été tuée d’une balle dans la nuque alors qu’elle était partie inscrire un de ses fils en BEP. Jusqu’à présent, rien ne reliait ces deux cold cases, si ce n’est le fait qu’ils se sont produits dans deux communes voisines de l’Isère, au sud de Lyon.
Lundi, pourtant, un homme d’une soixantaine d’années a été interpellé près de Dijon, soupçonné d’être l’auteur des deux meurtres, a appris 20 Minutes de sources concordantes, confirmant une information de RTL. C’est un ADN retrouvé sur un des scellés du dossier Afif qui a permis de remonter la trace de ce sexagénaire, originaire de la région grenobloise mais qui s’était établi en Bourgogne. Si les scellés concernant le meurtre de l’adolescente ont été détruits – il n’y a aucun ADN – les enquêteurs sont parvenus à croiser les deux affaires, en s’appuyant notamment sur une série d’éléments probants.
« C’est un immense soulagement pour la famille de Nathalie Boyer »
Dans les deux affaires, toutes les pistes avaient mené à des impasses. « C’est un immense soulagement pour la famille de Nathalie Boyer de se dire qu’il y a enfin un espoir d’avoir des réponses », assure leur avocate, Me Corinne Hermann. Et de nuancer : « C’est en même temps un bouleversement dans leur vie. Il y a une forme de colère, ils se demandent pourquoi ça n’aboutit que maintenant. » L’autopsie n’avait pas permis de mettre en lumière des traces d’agressions sexuelles. Faute de pistes sérieuses, le dossier a fait l’objet d’un non-lieu au bout de trois ans. Il sera brièvement rouvert en 1994, alors que des soupçons se portent sur un homme anglais. Ce dernier est rapidement innocenté. « Mes clients ont été malmenés par la justice et ont déjà connu deux fermetures de dossier donc forcément, ils sont sur leur garde », insiste Me Corinne Hermann.
Ce dossier sera finalement l’un des premiers à être repris par le pôle « cold case » de Nanterre, lors de sa création en 2022. Comme celui d’ailleurs de Leïla Afif, tuée à bout portant. Là encore, l’enquête a longtemps patiné. « Lorsque le pôle s’est créé, nous avons transmis une dizaine de dossiers, notamment toute la série des disparus de l’Isère », se remémore l’ancien procureur Jacques Dallest. Et de préciser : « Si ces dossiers ont avancé, c’est parce qu’ils ont été repris de A à Z. Tous les éléments ont été relus, réexaminés, remis en contexte. Les scellés ont fait l’objet de nouvelles analyses. C’est l’essence même de ce pôle. »
ADN de parentèle
Selon une source proche du dossier, les enquêteurs ont identifié le suspect grâce à l’ADN d’un membre de sa famille, selon la technique de l’ADN de parentèle. Il s’agit d’une méthode qui permet d’opérer des rapprochements en élargissant les comparaisons avec l’entourage. Le suspect, pourtant, n’était pas inconnu de la justice. Selon une source proche du dossier, confirmant une information du Dauphiné Libéré, cet homme de 62 ans aurait été condamné en 2002 pour des viols sur ses filles. Pourquoi cet homme n’était-il pas inscrit au Fnaeg, le fichier national des empreintes génétiques, entré en vigueur en 2001 ? « Les investigations le diront. Peut-être avait-il été interpellé juste avant son application ? », hasarde l’ancien magistrat.
Notre dossier sur les cold case
Mais comment expliquer des modes opératoires et des profils aussi différents dans les deux dossiers ? « Il faut sortir du schéma très américain du tueur en série qui reproduit ses crimes, poursuit Jacques Dallest. C’est très rare, à part peut-être Guy Georges. » Et le magistrat de citer l’exemple de Michel Fourniret ou même celui de Nordahl Lelandais, condamné pour le meurtre d’une fillette et d’un militaire. La garde à vue du suspect devrait se terminer ce jeudi.