Pep Guardiola est apparu le visage marqué par ses propres griffures après le nul de Manchester City face au Feyenoord (3-3) ce mardi en Ligue des champions. Derrière ces images devenues virales se cache pourtant un phénomène vraiment dangereux pour les sportifs de haut niveau: l’automutilation. RMC Sport se penche sur cette souffrance physique née d’une détresse psychologique et aux conséquences parfois très dangereuses.
Le front rougi, le nez écorché… Interrogé quelques minutes après le match nul concédé par Manchester City face au Feyenoord (3-3) lors de la cinquième journée de Ligue des champions, Pep Guardiola accuse visiblement le coup. Malgré trois buts d’avance à l’entame du dernier quart d’heure, les Skyblues se sont fait reprendre et ont enchaîné un sixième match sans victoire toutes compétitions confondues. Au-delà de l’échec de son équipe, c’est le visage de l’entraîneur catalan, couvert de griffures, qui marque surtout les esprits.
“Je me suis fait ça avec mon doigt, avec mon ongle”, tente de justifier le technicien en conférence de presse en mimant le fait de se couper. Avant de conclure son intervention dans un petit rire: “Je voulais me faire du mal.”
Après cette réponse jugée trop légère sur le fléau de santé mentale qu’est l’automutilation, Pep Guardiola a publié ce mercredi un communiqué pour rappeler les dangers d’une telle pratique. Mais le coach de Manchester City en est peut-être aussi la victime, comme l’explique la psychologue Johanna Rozenblum auprès de RMC Sport.
“L’automutilation, il y en a toujours eu dans le sport de haut niveau. Je crois qu’on en parle aujourd’hui parce qu’on mesure seulement maintenant que le sport de haut niveau a des conséquences sur la santé physique – ça on le savait déjà – mais également sur la santé mentale”, analyse la praticienne. Dans le monde du sport, où le corps est généralement l’outil de travail numéro 1, le travers prend généralement des formes très précises.
“Ça va être des griffures, des sportifs qui vont s’arracher la peau, qui vont se frapper”, liste-t-elle.
Une situation qui semble bien s’appliquer à Pep Guardiola. Et la consultante santé de BFMTV de préciser: “Chez les jeunes femmes, ça va aussi être de la trichotillomanie, c’est-à-dire de l’arrachage de cheveux. Cela peut-être de la privation alimentaire et donc un trouble du comportement alimentaire en général anorexique pour atteindre une silhouette attendue, notamment chez les sportives de haut niveau dans la gymnastique.”
Craquage pour les uns, simple agacement pour d’autres internautes, le comportement et surtout les signes d’automutilation peuvent interpeller à l’heure où certains sportifs s’autorisent à s’ouvrir sur leur détresse mentale et psychologique. Et Si Pep Guardiola semblait en sourire, ce n’est pourtant que rarement un coup de sang selon Johanna Rozenblum.
“Je pense qu’il ne faut pas minimiser les choses. Quand on porte atteinte à son propre corps à sa propre intégrité physique, c’est que la souffrance psychique est là. C’est rarement des comportements d’impulsivit锸 poursuit la psychologique clinicienne. “En général, c’est vraiment une détestation qui survient soit parce qu’il y a une incapacité ou une difficulté à supporter l’échec ou à supporter la perte de contrôle, le fait de ne pas maîtriser totalement une situation ou une compétition.”
“Et puis enfin, une perte de plaisir. La compétition, parfois, fait ça. Le sport de haut niveau fait ça. Parfois les attentes sont telles que le plaisir n’est plus là. Et la souffrance physique vient paradoxalement, soit pour se punir en s’infligeant une souffrance supplémentaire, soit pour calmer la souffrance en détournant l’attention de la souffrance psychique par de la souffrance physique.”
Mais parfois, l’automutilation prend des formes encore plus violentes. En marge de son élimination dès le deuxième tour du Masters 1000 de Paris fin octobre, le tennisman russe Andrey Rublev a lui aussi montré des signes de nervosité et a même terminé en sang après s’être violemment frappé le genou avec sa raquette. Un comportement qui traduit cette volonté d’évacuer la pression pendant un affrontement sportif ou après une contre-performance.
Là encore, Johanna Rozenblum y voit les signes d’une grande souffrance psychologique à laquelle le sportif ne semble voir d’autre issue que la violence contre lui-même.
“L’automutilation c’est une souffrance psychologique qui porte atteinte à l’intégrité physique”, martèle l’autrice de plusieurs ouvrages de psychologie notamment sur l’hypersensibilité ou les pervers narcissiques. “[…] On a finalement des compétiteurs et des sportifs qui ne peuvent plus exercer ou faire leur sport parce que le corps, à un moment, est trop atteint, ne peut plus avancer et n’a plus la capacité de progresser. Donc c’est vraiment une punition sur tous les plans. […] les conséquences sont dramatiques et elles dénotent d’une souffrance psychologique indéniable au-delà du coup de sang ou de l’impulsivité.”
Sans aller jusqu’à l’extrême d’Andrey Rublev, les images du visage de Pep Guardiola sont devenues virales. Mais dans sa réaction souriante sur le sujet, peut-être simplement de façade, l’entraîneur catalan a pu aussi entretenir ce caractère un peu masochiste du sportif de haut niveau, ou dans ce cas précis du manager dans le sport.
“Beaucoup de sportifs diront qu’au fond, il faut être un peu maso pour faire ce métier. Parce que ce sont des charges de travail et puis une quantité d’efforts physiques… Et puis surtout, c’est tout ce qui est répétition”, expliquait ainsi Cédric Quignon-Fleuret, psychologue du sport, fin juillet lors de son passage dans l’émission l’After Foot sur RMC. “Il y a une grosse grosse partie du travail qui est obscure comme la préparation physique ou la préparation tactique. Tout dépend de la définition qu’on prend du masochisme. Dans le haut niveau, il y a quelque chose qui va être de l’ordre d’arriver à tolérer des choses qui nous sont désagréables parce qu’on en voit l’utilité a posteriori.”
L’automutilation va encore plus loin que ce simple masochisme et Johanna Rozenblum n’y voit aucun avantage pour le sportif. Bien au contraire, puisque cela se résume à une stratégie de détournement.
“Il n’y aucun bénéfice à l’automutilation, il faut être très clair avec ça. L’automutilation permet de détourner l’attention”, enchaîne la consultante santé de BFMTV.
“Quand vous avez une souffrance psychologique telle, une incapacité à gérer cette souffrance-là. Ça peut être de la colère, de la tristesse, du désarroi, de la culpabilité… La souffrance physique vient prendre le relais, elle vient détourner l’attention de votre souffrance psychologique. Plus fort votre corps souffre, moins vous pensez à ce que votre esprit vous dit. Elle sert à ça, l’automutilation. Donc elle n’a absolument rien de bénéfique”, conclut la praticienne.
Le boosting, une pratique d’automutilation aux Jeux paralympiquesLors des récents Jeux paralympiques à Paris, l’automutilation avait même constitué un moyen d’augmenter les performances sportives chez certains athlètes adeptes de la pratique du boosting. Chez les sportifs souffrant d’une paralysie liée à une atteinte à la moelle épinière, l’automutilation a ainsi pu permettre à certains de surperformer.
Sans en ressentir la douleur compte-tenu d’un système nerveux défaillant, ces para athlètes ont ainsi pu tirer des bénéfices, une augmentation du rythme cardiaque et une meilleure oxygénation du sang via des contractions musculaires autonomes du corps, en s’infligeant des blessures corporelles.
Johanna Rozenblum n’oublie pas de faire le distinguo entre cette automutilation que peuvent s’infliger les sportifs et acteurs du sport de haut niveau avec certains procédés pour activer le corps ou le mental. Ainsi, la psychologue voit une sorte de “continuum” quand les nageurs se frappent le corps avant une course pour activer leur corps et “donner une forme d’impulsion ou stimuler son adrénaline et son endorphine” avant un effort intense. De la même manière, les rugbymen que l’on peut parfois voir se mettre des gifles avant un match pour se motiver ou trouver une sorte de fighting spirit.
“L’automutilation, elle laisse des stigmates, elle laisse une souffrance”, peste encore la psychologue clinicienne auprès de RMC Sport. “[…] Les psychologues qui travaillent sur l’automutilation connaissent bien ces réflexes-là. Parce que ce ne sont pas que des coups. C’est aussi associé à une souffrance psychologique, à un dénigrement, à une capacité à gérer la frustration ou la colère. C’est tout un faisceau de symptômes qui permet d’attirer notre attention sur une potentielle automutilation.”
Face à certains phénomènes de détresse mentales et psychologiques, certains clubs font désormais appel à des spécialistes pour suivre les joueurs et les entraîneurs. Invité de l’émission Génération After sur RMC début novembre, Luka Elsner saluait l’intégration dans le staff rémois d’une psychologue du sport pour épauler le groupe.
“Parfois, c’est purement dans le domaine de la performance, parce que ça peut fortement aider dans la concentration et dans la capacité à se fixer des objectifs”, détaillait alors le coach champenois lors de son intervention. “Mais aussi être simplement un interlocuteur pour discuter de choses un peu plus vagues, d’état d’esprit et d’état émotionnel qui sont fortement perturbés par les performances. En tout cas, plus par les résultats que par les performances.”
Si ce procédé se développe, Johanna Rozenblum juge qu’il faut le pousser encore plus loin. Et pour cause, selon elle, “on se retrouve avec des sportifs qui commencent à faire du sport à un âge très précoce, souvent à l’adolescence, et qui ne savent pas gérer l’échec ou qui pensent qu’ils ne sont aimés que par leur réussite”.
La psychologue glisse même que ces jeunes sportifs peuvent ressentir “un désamour immense” en cas de contre-performance. Un phénomène auquel se greffe parfois une forme de culpabilité face à l’investissement de leur proche et auquel les réseaux sociaux rajoutent parfois la raillerie, le commentaire voire l’insulte. La pression devenant de plus en plus difficile à gérer, à intérioriser, l’athlète va choisir l’automutilation.
“Lorsqu’on est capable de retourner les coups contre soi-même, c’est que la souffrance est déjà installée depuis plusieurs mois voire plusieurs années. Il faut donc déjà une prise de conscience des équipes qui entourent ces sportifs ou de la famille pour comprendre que la pratique du sport à haut niveau, même avec succès, n’est pas synonyme de bien-être et de bonheur. Il faut peut-être aussi faire rentrer davantage de personnel soignant pour repérer les signaux faibles d’une souffrance psychologique qui pourrait à terme conduire à des automutilations”, conseille-t-elle.
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