Le meurtre de Philippine aurait-il pu être évité ? La question se pose au regard du parcours judiciaire du suspect qui a été interpellé, mardi soir, en Suisse. Ce ressortissant Marocain, âgé de 22 ans, venait de purger une longue peine de prison après avoir été condamné pour un viol commis en 2019 dans le Val-d’Oise. En sortant de détention, en juin dernier, Taha O. aurait dû être expulsé vers son pays d’origine. Une mesure à laquelle il a pourtant échappé.
Et trois mois plus tard, les policiers le soupçonnent d’avoir tué la jeune étudiante de 19 ans et d’avoir tenté de dissimuler son corps en l’enterrant dans le bois de Boulogne.
Un suspect rapidement identifié
La victime a été vue pour la dernière fois vendredi, vers 14 heures, alors qu’elle déjeunait à la cantine de l’université. Elle devait ensuite prendre le RER C, porte Dauphine, pour se rendre chez ses parents qui habitent à Saint-Quentin-en-Yvelines. Mais elle n’est jamais montée dans le train. Inquiète de ne pas avoir de nouvelles, sa sœur a signalé sa disparition le soir même au commissariat du 16e arrondissement de Paris. Le lendemain, ses proches ont organisé une battue dans le bois de Boulogne en se concentrant sur la zone où son téléphone portable a été géolocalisé. Rapidement, l’un des participants a découvert son corps, en partie enterré.
La victime a été formellement identifiée dans la soirée. Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour homicide volontaire, confiée à la brigade criminelle de la police judiciaire. Ces enquêteurs chevronnés découvrent notamment qu’un homme a tenté de retirer de l’argent avec la carte bancaire de la jeune fille. Le suspect a même été filmé par la caméra installée au-dessus du distributeur. De méticuleuses investigations téléphoniques permettent aux fonctionnaires de mettre un nom sur ce visage. Et il est déjà bien connu de leurs services.
« Il y a des textes qui encadrent tout ça »
Taha O. a été condamné, le 5 octobre 2021, par la cour d’assises des mineurs du Val-d’Oise, à une peine de sept ans d’emprisonnement pour des faits de viol commis en 2019. Après avoir passé cinq ans derrière les barreaux, le jeune homme a été libéré en juin dernier. « Il a été condamné pour un viol commis sans circonstance aggravante. La peine encourue est de 15 ans. Mais comme il est mineur, il ne pouvait pas écoper d’une peine supérieure à la moitié. Il a donc pris le maximum possible. Il n’a pas eu d’aménagement de peine, il a été jusqu’au bout de sa détention et n’a pas bénéficié d’une libération conditionnelle », souligne une source proche du dossier, ajoutant que le suspect avait été écroué « avant l’entrée vigueur de la loi qui supprime les crédits de réduction de peine automatique ».
En sortant de prison, Taha O. ne recouvre pas pour autant la liberté. Se trouvant en situation irrégulière en France, le jeune homme « s’était vu notifier une obligation à quitter le territoire français le 18 juin 2024 », indique ce mercredi le parquet de Paris dans un communiqué. Il a alors été placé en centre de rétention administratif à Metz.
Les semaines passent et le Maroc tarde à délivrer le laissez-passer consulaire par la France. Dans l’attente, son placement en CRA (centre de rétention administrative), dont la durée maximum est de 90 jours, est prolongé à trois reprises. Le 3 septembre, un juge de la liberté et de la détention finit par ordonner sa libération. « Ce n’est pas une décision prise à l’appréciation du magistrat, il y a des textes, le code des étrangers, qui encadrent tout ça », insiste une source judiciaire.
Avant d’ajouter : « Il faut que le consulat communique un document certifiant que le laissez-passer va être remis dans les plus brefs délais. Une simple démarche ne suffit pas. Si le magistrat l’avait eu dans les mains, il n’aurait pas refusé de reprolonger sa détention, comme il l’avait déjà fait trois fois. »
« C’est surtout un sujet avec la Maroc »
Et même s’il a été condamné en 2019 pour un crime grave, Taha O. ne représente pas, au regard des textes législatifs, « une menace pour l’ordre public ». « Il fallait, pour que le juge décide de le maintenir en CRA, que cette menace soit actuelle, ce qui n’était pas le cas », assure ce bon connaisseur du dossier.
« C’est surtout un sujet avec la Maroc, et qui n’est pas nouveau », regrette une source place Beauvau, assurant que le ministère de l’Intérieur avait fait les choses de manière « réglo » dans cette affaire. « On ne peut pas dire que cela soit notre meilleur partenaire en matière de reconduite, ce n’est pas le pays qui nous aide le plus, et ce n’est pas récent comme constat. Cela pose des questions concernant les relations diplomatiques avec le Maroc. »
Une information judiciaire pour meurtre et viol
Le royaume chérifien finira, le 4 septembre, par délivrer l’autorisation d’expulsion tant attendue aux autorités françaises. Trop tard. Taha O. venait d’être assigné à résidence dans un hôtel de l’Yonne. Une mesure que le suspect n’a pas respectée. Deux semaines plus tard, la préfecture de ce département signalait son cas à la justice. Le 19 septembre 2024, il était inscrit au fichier des personnes recherchées. Le lendemain, il croisait Philippine à Paris.
Le suspect du meurtre de la jeune femme a finalement été interpellé mardi, alors qu’il prenait la fuite à Genève, en Suisse. « Les autorités judiciaires françaises vont adresser une demande d’extradition aux autorités judiciaires suisses afin de se voir remettre l’intéressé le plus rapidement possible », a fait savoir le parquet de Paris qui a ouvert, ce mardi soir, une information judiciaire pour meurtre précédé, accompagné ou suivi d’un autre crime, viol, vol et escroquerie, le tout en état de récidive légale.