Premier pourvoyeur de médailles dans l’histoire des Jeux olympiques pour la France, l’escrime tricolore termine avec un bilan satisfaisant, selon la FFE, de sept médailles dont un titre. Même si aucune équipe n’a réussi à ramener l’or. Pas si étonnant vus les derniers mois en coulisses.
Les Bleus de l’escrime terminent les Jeux olympiques de Paris avec sept médailles, dont un seul titre. Un bilan assez moyen vues les ambitions et les résultats cette saison, qui s’explique en partie par un contexte très tendu au sein de l’escrime française. La France, pour la première fois, avait qualifié ses six équipes aux JO. Elle repart avec sept médailles – record d’Atlanta égalé – mais pouvait attendre plus.
La compétition d’épée masculine s’est mal terminée pour les Bleus, à l’image de leur saison chaotique. Quatrièmes alors qu’ils visaient l’or et qu’ils avaient le bronze à portée de main avant un dernier relais incompréhensible de Yannick Borel, les Français ont très mal conclu leur saison. Mais pouvait-il en être autrement? Un tel contexte en interne, en année olympique, explique certainement beaucoup des maux des épéistes: Borel et Cannone partis s’entraîner dans leurs clubs car ils ne s’entendaient pas avec Hugues Obry, désormais ex manager des Bleus, des relations froides entre ces athlètes et le staff, peu d’échanges, un stage de préparation final sans les deux meilleurs Français, un tireur (Alexandre Bardenet, pourtant troisième français) qui conteste juste avant les Jeux sa non sélection qu’il estime être une sanction déguisée car il a aussi quitté l’INSEP…
“C’est toujours plus facile quand on est dans un contexte serein, il y a eu beaucoup de tensions toute la saison mais c’est à nous tireurs de regarder ce qu’on a fait et de regarder comment travailler à partie de ça”, disait Paul Allègre. Sur Instagram, Yannick Borel s’est livré: “Il se trouve que je suis à bout de force, vidé par une saison où le thème aura été de faire abstraction des attaques et des menaces incessantes de l’intérieur. […] J’aurai beaucoup appris sur moi et je me sens plus fort et plus résilient que je ne l’ai jamais été.”
L’après-compétition a d’ailleurs été étrange: en larmes, Luidgi Midelton (seul pensionnaire de l’INSEP qui a donc vu son entraîneur Hugues Obry écarté), était le plus touché. Romain Cannone, affecté mentalement par cette saison, semblait lui détaché: “Je trouve que tout le monde a exprimé ces qualités et je suis fier pour ça même s’il j’ai lé déception de ne pas avoir ramené de médailles.” Le manager Gauthier Grumier, pas content du comportement de certains tireurs en match, a lui filé après l’élimination. Il est parti en vacances le lendemain et ne reviendra très probablement pas.
Heureusement, l’équipe féminine, moins attendue, a répondu présente et fait vibrer les Français. Portée par une Auriane Mallo-Breton dans la forme de sa vie, elle ramène deux médailles: l’argent en individuelle pour la “maman” de l’équipe, et l’argent par équipe. “On aurait signé”, souriait l’entraîneur des Bleus Hervé Faget. Seul regret: l’or s’est dérobé, les deux fois, lors de la mort subite. A une touche du bonheur.
Les plus belles émotions nous sont venues du sabre. Avec la finale franco-française Manon Apithy-Brunet – Sara Balzer, les sabreuses ont permis à l’escrime française de briller aux yeux du monde. Une performance venue récompenser l’excellente saison des deux athlètes, qui ont performé de manière remarquablement régulière toute l’année. Malheureusement, l’état de grâce n’a pas duré: la quatrième place en par équipe cinq jours plus tard semble inexplicable. “Peut-être que l’épreuve individuelle a laissé plus de traces qu’on ne pouvait l’imaginer, tentait d’expliquer l’entraîneur Mathieu Gourdain. […] On a eu pas mal de difficultés pour exprimer notre jeu. Le tonus, la tonicité, la vivacité semblaient dilués.” “On a tellement voulu faire bien qu’on ne s’est peut-être pas assez libérées”, lâchait Manon Apithy-Brunet. Il y a forcément de l’influx qui est parti mais on était prêtes et ce n’est pas à cause de nos médailles individuelles qu’on a perdu.”
Les garçons, eux, ont réussi à ramener le bronze lors d’une journée où leur cohésion a sauté aux yeux et où le public les a portés. Cela compense légèrement les déceptions individuelles: Maxime Pianfetti, vice-champion du monde 2022, sorti au premier tour ; Sébastien Patrice et Boladé Apithy en huitièmes de finale. Là aussi, le contexte fut pesant toute la saison. Pianfetti et Patrice (ainsi que son frère Jean-Philippe Patrice, remplaçant) se sont entraînés dans une académie privée tenue par Vincent Anstett… ancien entraîneur des Bleus mais écarté il y a un peu plus d’un an. Résultat: aucun sabreur ne fréquentait l’INSEP cette année, l’entraîneur national a démissionné à deux mois des Jeux et son adjoint a pris la suite sans avoir les athlètes au quotidien.
Les équipes avaient ramené l’or (pour les garçons) et l’argent (pour les filles) à Tokyo il y a trois ans. Cette année, à domicile, la médaille de bronze de l’équipe masculine lors du dernier jour de compétition sauve les meubles. La recette? Une équipe soudée, quatre copains et un entraîneur, Emeric Clos, en osmose avec son groupe. En individuel, aucun athlète n’est allé plus loin que les quarts de finale, même si Maxime Pauty a éliminé le n°1 mondial. Les féminines, elles, sont passées à côté: une cinquième place en équipe et beaucoup de larmes.
Là aussi, la saison fut difficile et le “cas” Ysaora Thibus a marqué les esprits. La Française, contrôlée positive à l’ostarine en janvier, substance interdite par l’Agence mondiale antidopage, avait été suspendu provisoirement quatre mois, avant d’être blanchie car elle avait prouvé une contamination par son compagnon. Lors de son retour à la compétition en juin, elle se blessait au ligament d’un genou. “Vous connaissez très bien les conditions dans lesquelles on s’est préparées et on ne peut pas les dissocier des résultats”, regrettait Thibus, qui avait appris au coup d’envoi des Jeux que l’AMA faisait appel de sa non-suspension. Yann Detienne, le manager qui a succédé l’an passé au très apprécié Lionel Plumenail, avait tout de même convoqué la Française. Qui n’a pas pu défendre ses chances à 100%.
Les questions sont partout et le directeur technique national de la FFE, Jean-Yves Robin, a d’abord tenu à souligner le bilan tricolore: “C’est un très bon bilan, on est très contents. Il aurait pu être plus brillant, plus excellent car il y a effectivement quelques déceptions avec en individuel, quelques perspectives de médailles supplémentaires. On avait aussi une vraie ambition que toutes les équipes soient médaillées. Certains diront que ça manque d’or mais le bilan comptable est là.”
Huit médailles étaient espérées pour battre le record de 1996 mais la Fédération s’en satisfait donc. Sur les différents épisodes de la saison, Jean-Yves Robin botte en touche: “Qu’importent les faits divers qu’on a pu avoir, je connais la valeur de nos tireurs et des staffs donc j’étais complètement confiant et il y avait peu de soucis externes qui allaient perturber les performances. Honnêtement, je n’avais pas trop d’inquiétudes, je connaissais bien la valeur des gens. Les causalités qu’on pourrait trouver n’ont rien à voir.”
Il promet tout de même un “audit”. “Il va falloir prendre le temps de faire un bilan posé, avec tous les acteurs pour savoir ce qui a été, ce qui n’a pas été, ce qu’on garde ou pas pour travailler un projet de performance qui nous permettra d’atteindre huit médailles à Los Angeles. On analysera tout ce qui devra l’être.”
A court terme, en tout cas, d’autres choses vont changer: il y aura une nouvelle élection pour la présidence de la Fédération en octobre et Brigitte Saint-Bonnet, qui a succédé à dix mois des Jeux au démissionnaire Bruno Gares, pourrait être remplacée. Le directeur de la haute performance Frantz Philippe est en arrêt maladie depuis près d’un an, ce qui ne facilite rien. Ces élections donneront une nouvelle direction en vue des Jeux 2028. Mais l’épée hommes va voir son organisation changer, tout comme le sabre hommes. La question va se poser au fleuret féminin et peut-être à l’épée féminine, alors que le sabre féminin et le fleuret masculin semblent plus stables. Mais FFE et stabilité ne riment plus depuis longtemps. Que se passera-t-il, aussi, à l’INSEP, alors que les meilleurs athlètes s’orientent de plus en plus vers des structures extérieures? “’an prochain, il n’y aura plus personne au pôle France, tout le monde va partir”, grinçait un manager lors des championnats de France en fin d’année dernière. Les chantiers sont ouverts.
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