Si jeudi fut la journée de l’effroi et de l’émotion à Annecy, vendredi fut celle d’un homme : Henri, le « héros au sac à dos ». En quelques heures, les images d’Henri, un jeune homme de 24 ans qui a mis l’assaillant en fuite, ont tourné en boucle sur les réseaux sociaux et sur les plateaux de chaîne d’info en continu… qui ont vite retrouvé le sauveur. Mais pas avant de lui avoir trouvé « un surnom qui fonctionne bien », pointe d’emblée la sémiologue et analyste des médias Virginie Spies, contactée par 20 Minutes.Armé de son sac, une « caractéristique physique » qui le rend plus « reconnaissable » tout en restant anonyme, Henri, tel un Batman anonyme ou un héros antique, a donc émergé parmi « pleins de figures disponibles », souligne Irène Langlet, professeure de littérature comparée à l’université Gustave-Eiffel. Mais pourquoi lui ? Parce que « les médias en sont très friands, parce que ça permet de continuer le récit autrement, de montrer des choses plus positives », poursuit Virginie Spies. « On en a besoin, c’est rassurant de se dire qu’il existe des gens comme ça », jusqu’à pouvoir imaginer « avoir son courage à sa place », approfondit-elle. Un héros « transcendé au profit du groupe »« A l’origine, le héros est mi-homme mi-dieu, il a par essence une programmation hors norme », quelque part « destiné à accomplir des actes extraordinaires », rappelle alors Morgane Leray, enseignante-chercheuse en littérature française à l’université d’Aix-Marseille. Ce n’est qu’à partir du Moyen-Âge, avec une accélération après la Révolution, qu’on va « se libérer du destin génétique » et avoir des figures « plus populaires », déroule-t-elle. Et voici donc Henri et son sac à dos. Une figure du héros qui répond à « un besoin de cristalliser des valeurs », selon Morgane Leray. « Transcendé au profit du groupe », le héros « permet de communier autour d’une morale et de se reconstruire » collectivement.L’apparition du héros ressemble ainsi à un passage obligatoire « dans une période de crise et d’incertitude », qui se prolonge même en dehors du drame d’Annecy. Lors d’autres attentats, d’autres figures ont émergé. Virginie Spies cite « l’exemple d’Arnaud Beltrame », qui avait échangé sa place avec celle d’un otage à Trèbes, et Irène Langlet évoque « la construction d’un acte héroïque » à Nice en 2016 quand, tour à tour, Alexandre N. et Frank T. ont tenté de s’accrocher à la porte du camion de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel pour arrêter sa course folle. L’héroïsme est donc une affaire individuelle. Avec une exception notable, pour Irène Langlet : les attentats du 11-Septembre. Parmi « les passagers du quatrième avion qui sont montés collectivement à l’assaut de la cabine » pour détourner l’engin qui se dirigeait vers la Maison Blanche, « aucun n’a été construit en héros solitaire », de même que « les pompiers new-yorkais ont été un héros collectif ».Henri et… ses points communs avec Abdalmasih H.Mais revenons-en à nos héros médiatiques et à Henri. Outre le fait que le jeune homme ait poursuivi l’agresseur toujorus armé de son couteau, la professeure de littérature comparée identifie « des éléments évidents qui aident à la caractérisation du héros », à commencer par… ses points communs avec Abdalmasih H. « Ils se revendiquent d’une religion commune » et sont tous deux « des nomades, des voyageurs », note-t-elle. Mais là où le réfugié syrien personnifie « un côté perçu obscur, celui de l’agresseur migrant », Henri est « un nomade volontaire, incarne la vieille figure des pèlerins » avec son tour des cathédrales. Tels Dark Vador et Luke Skywalker (la relation filiale en moins, désolé du spoil) ou Venom et Spider-Man, « ils sont opposés par les forces du récit », conclut Irène Langlet.Mais si « le héros médiatique, comme toute figure héroïque, est parfait » au départ, indique Virginie Spies, Henri n’en reste, tel Batman, pas moins un humain… avec son passé, son côté sombre et ses éventuelles casseroles. Le jeune homme, au discours bien rodé et presque prédicateur, a été alternant pour le journal d’extrême droite L’homme nouveau, dont le rédacteur en chef adjoint Odon de Cacqueray assure qu’Henri a été « formé et éduqué pour réagir à ce genre de situation ».notre dossier sur l’attaque à annecy« Il va peut-être tomber de son piédestal plus vite qu’il n’y est monté », prévient alors Virginie Spies. « Soit on maintiendra l’idéalisation coûte que coûte pour conserver les valeurs qu’il incarne, soit on déconstruira », abonde Morgane Leray, anticipant une « polarisation » et un personnage appelé à « vite devenir clivant ». « Si on veut faire le procès d’un héros, il faut aussi regarder la succession d’évènements en jeu », tempère Irène Langlet, qui appelle plutôt à « juger aussi ceux qui ont décidé d’en parler » et « juger les héros comme résultat d’une histoire ».Faits diversAttaque au couteau à Annecy : Pourquoi les attaques visant des enfants nous bouleversent-elles tant ?Faits diversAttaque au couteau à Annecy : Qui est Henri, l’homme « au sac à dos », qui a fait fuir l’assaillant ?