Trois morts, trois blessés. C’est le bilan d’une attaque à l’arme à feu perpetrée ce vendredi en plein Paris, dans le 10e arrondissement. Cet arrondissement n’est malheureusement pas étranger aux tueries, déjà meurtri par les attentats de Paris et Saint-Denis du 13 novembre 2015. Mais dans le cas de l’attaque de vendredi, on ne parle pas de terrorisme. Le Parquet national antiterroriste (PNAT) ne s’est pas saisi de l’enquête. Pourtant, le suspect, William M., a revendiqué le caractère raciste de son acte, dirigé contre un centre culturel kurde, après avoir échoué à ouvrir le feu à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) « pour commettre des meurtres sur des personnes étrangères », a expliqué la procureure de Paris Laure Beccuau. La communauté kurde ainsi que plusieurs personnalités politiques, telles que Jean-Luc Mélenchon ce lundi, ont réclamé cette saisine du PNAT.Ce lundi toujours, la garde à vue du suspect a été levée afin que ce dernier puisse être présenté à un juge d’instruction pour une éventuelle mise en examen. Une information judiciaire a été ouverte notamment des chefs « d’assassinat en raison de la religion, de tentative d’assassinat en raison de la race, l’ethnie, la nation ou la religion », a précisé à 20 Minutes le parquet de Paris. Mais alors pourquoi ne parle-t-on pas d’attentat de la rue d’Enghien malgré les motivations racistes et xénophobes du tireur ? Eléments de réponse avec Emmanuel Daoud, avocat pénaliste au barreau de Paris et le Parquet national antiterroriste, contactés pas 20 Minutes.C’est quoi un acte à caractère terroriste ?Pour bien comprendre les raisons de cette non-saisine du PNAT, il faut commencer par définir l’acte terroriste. Selon l’article 421-1 du code pénale, « constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes : les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, définis par le livre II du présent code ». Ce qui constitue le caractère terroriste, est donc l’intentionnalité de l’acte, à savoir « troubler gravement à l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».« Ce ne sont donc pas les conséquences d’un acte qu’il faut analyser mais l’intention de son auteur, le but qu’il a poursuivi, développe le PNAT contacté par 20 Minutes. Un acte raciste peut avoir pour conséquence de troubler gravement l’ordre public, toutefois l’intention de l’auteur de cet acte n’est pas nécessairement de terroriser ou d’intimider. » C’est justement la question qui s’est posée concernant l’attaque contre des Kurdes à Paris. Si le PNAT ne s’est pas saisi de l’enquête, c’est parce que, à ce stade, il n’y a aucun indice qui laisse à penser que William M. avait la volonté de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. « Le caractère raciste revendiqué ne justifie pas le caractère terroriste », explique Emmanuel Daoud.D’autre part, le terme « attentat » n’existe pas dans le cadre pénal. Et si un attentat est forcément associé à un acte terroriste, l’inverse n’est pas forcément vrai. Par exemple, la qualification terroriste peut être retenue pour des recrutements de personnes pour une organisation terroriste ou simplement le financement du terrorisme.Comment reconnaître l’intention terroriste d’une attaque ?Pour que le caractère terroriste soit retenu, il faut donc avoir des indications concernant l’intention. « L’intention est aisée à déterminer lorsque l’auteur se revendique d’une organisation terroriste ou agit pour son compte. Lorsque tel n’est pas le cas, il convient d’analyser précisément les éléments recueillis au cours de l’enquête pour apprécier qu’elle était l’intention de l’auteur au moment des faits, déterminer dans quel but il a agi », développe le PNAT.C’est alors l’enquête, les perquisitions, les interrogatoires, qui permettent de déterminer cette intention. Il faut trouver des « indices, des vidéos, de la documentation qui le rattachent à l’idéologie d’extrême droite mortifère ou à des groupes identitaires qui prônent la violence » pour que ce caractère terroriste des faits puisse être retenu, précise Emmanuel Daoud. Par ailleurs, si l’enquête révèle des liens du suspect avec l’Etat turc, là aussi le caractère terroriste pourrait être retenu. « Le fait que nos associations soient prises pour cible relève d’un caractère terroriste et politique », accuse ainsi dans Libération Agit Polat, un porte-parole du Conseil démocratique kurde de France (CDKF).La qualification des faits peut-elle encore évoluer ?« Cette appréciation est toujours susceptible d’évoluer tant que l’enquête est en cours », rappelle le PNAT. Tant que l’enquête se poursuit, des éléments peuvent en effet venir étoffer une qualification terroriste des faits, l’intentionnalité de l’auteur dans son acte. Ainsi, « si l’enquête révèle dans plusieurs semaines que le suspect a des liens avec la Turquie » ou des groupes identitaires prônant la violence, « le PNAT peut se saisir et suivra le dossier pour mener l’accusation en assumant le caractère terroriste », développe Emmanuel Daoud.Dans ce cas, le PNAT « demandera au juge d’instruction de mettre le suspect en examen en intégrant le caractère terroriste dans la poursuite » de l’attaque. Le suspect ne sera alors pas jugé aux assises mais devant une cour d’assises spécialement composée, comme cela a été le cas pour le procès des attentats du 13-Novembre ou celui de l’attentat de Nice.Existe-t-il une différence de traitement entre les attaques terroristes islamistes et les autres ?Plusieurs observateurs ont fait remarquer que le PNAT a tendance à se saisir plus rapidement lorsque l’auteur d’une attaque violente est de confession musulmane, et plus particulièrement lorsque ce dernier aurait crié « Allahou Akbar » sur les lieux du crime. Le parquet antiterroriste serait-il plus frileux lorsqu’il s’agit d’attaques perpétrées par des personnes d’extrême droite ? « Il ne s’agit pas de frilosité mais de rigueur juridique » de la part « des magistrats qui dirigent l’enquête », répond-il avec fermeté.La question se pose néanmoins. « Le Parquet national antiterroriste semble avoir moins d’hésitation à se saisir de l’enquête lorsque l’assaillant est de confession musulmane », abonde effectivement Emmanuel Daoud. Toutefois, « il est aussi vrai que le caractère terroriste de ces attaques est souvent confirmé dans les heures qui suivent par des documents retrouvés », ajoute-t-il avant de préciser : toujours est-il « qu’au démarrage, il y a moins d’hésitation quand le contexte est islamiste ». Un constat qui peut également s’expliquer par le contexte terroriste en France, où la menace d’attaques djihadistes reste très forte. La menace venant de l’extrême droite monte par ailleurs, et la France est en première ligne selon le rapport annuel d’Europol sur le terrorisme dans le Vieux Continent.Faits diversFusillade à Paris : « Un attentat terroriste » pour le Conseil Démocratique Kurde en FranceFaits diversFusillade à Paris : Que sait-on du suspect qui a tiré en pleine rue et tué trois personnes ?