L’acteur Patrice Dewaere s’est tué le 16 juillet 1982 chez lui à Paris après une descente aux enfers agonisante et une ultime trahison.
“Trente-cinq ans… Tu te rends compte de la perte… Quelle époque de cons ! Le pauvre mec, il est mort à trente-cinq ans !”. Les mots du personnage de Patrick Dewaere dans le film Préparez vos mouchoirs (1978) concernaient le compositeur Mozart, pourtant ils ont fini par avoir un triste aspect prémonitoire. Car c’est à l’âge de 35 ans que l’acteur et père de famille s’est suicidé, chez lui, l’après-midi du 16 juillet 1982. Malgré une carrière très remplie et reconnue par ses pairs, deux filles et un avenir qui aurait pu lui réserver encore de belles surprises, le comédien a décidé ce fameux jour d’été qu’il en avait eu assez. Il faut dire que la vie de Patrick Dewaere n’a pas été faite que de premiers rôles et de réussites au box-office.
Identités multiples
Dès son enfance, Patrick Dewaere se retrouve tiraillé de plusieurs côtés et démarre la vie dans un flou qui ne se précisera que partiellement des années plus tard. Le futur acteur est le fils de Mado Maurin et du chef d’orchestre Michel Têtard, l’amant de sa mère. Car elle était à l’époque mariée avec Pierre-Marie Bourdeaux, avec qui elle avait déjà eu deux enfants. Malgré la séparation qui a suivi sa liaison, Pierre-Marie Bourdeaux a quand même accepté de donner son nom à Patrick, dont Michel Têtard refusait de reconnaître l’existence. Ce fut ensuite Georges Collignon, le deuxième mari de sa mère, qui a officiellement reconnu Patrick Dewaere, même s’il a, à l’époque, gardé le nom de Patrick Bourdeaux.
Grâce à une famille déjà connue du monde du cinéma, le jeune Patrick Dewaere apparaît dans plusieurs productions mais c’est en 1974 qu’il sera révélé par le films de Bertrand Blier, Les Valseuses. Il y joue aux côtés de Gérard Depardieu, qui deviendra rapidement son ami mais aussi son plus grand concurrent, et avec Miou-Miou, sa compagne de l’époque avec qui il vit une relation passionnée. Très sensible, l’acteur se laisse facilement emporter par ses états d’âme et réagit souvent à chaud de manière extrême face aux situations qui le déstabilisent. Seulement avec un passé flou et des origines incertaines, Patrick Dewaere évolue dans un monde trouble dans lequel il a du mal à garder ses repères, se servant de son amante comme de la lumière du phare le guidant dans la pénombre. Quand Miou-Miou le quitte en 1975 pour Julien Clerc, c’est donc vers la drogue qu’il se tourne pour obtenir, à défaut d’un chemin plus clair, au moins de quoi oublier son mal-être et son coeur brisé.
Descente aux enfers et enfance abusive
Addict et dévasté, Patrick Dewaere continue de tourner mais se fait remarquer à plusieurs occasions à cause de son comportement excessif. C’est notamment le cas lorsqu’il s’en prend au journaliste Patrice de Nussac qui a dévoilé la date de son futur mariage avec Elsa, provoquant un tollé auprès du public et une vague de boycott dans le milieu des médias. En parallèle à ses rôles toujours incarnés avec brio, la vie privée de Patrick Dewaere prend donc un tournant dramatique qui le mène tout droit vers son destin tragique. Même son mariage avec Elsa, ou Elisabeth Malvina Chalier de son vrai nom, se termine mal lorsque la mère de sa deuxième fille, Lola Dewaere, lui préfère l’homme qui s’avère être son meilleur ami, l’acteur et humoriste Coluche.
Après n’avoir eu qu’une idée vague de qui il était, Patrick Dewaere vit ensuite une vie privée et professionnelle où il se retrouve sans cesse comparé et confronté à d’autres hommes qui lui passent devant, engrangeant un manque de reconnaissance qu’il a de plus en plus de mal à supporter. Que ce soit Gérard Depardieu qui lui est souvent préféré pour les premiers rôles, ou Coluche qui finit avec sa femme, l’acteur a du mal à trouver de quoi l’ancrer à sa vie et au monde qui l’entoure. Son addiction et les rôles tragiques qu’il endosse régulièrement – dont le dernier d’un homme qui se suicide dans Paradis pour tous sera une sombre prémonition- ne font rien pour l’aider à remonter vers la surface. Il finit par faire part de ses envies suicidaires à son ex-femme et amie, Sotha, à laquelle il confie en 1982 qu’il ne supporte plus la fatigue, la drogue et les dettes qui le plombent. Cette dernière lui parle de ses filles, Angèle et Lola, et essaie de l’encourager à se battre contre une dépression non diagnostiquée qui puise ses origines dans une enfance bouleversante.
Dans un livre paru en 2017, Gérard Depardieu, qui a été un ami proche de Patrick Dewaere pendant des années, a en effet dévoilé que l’acteur qui s’est suicidé avait été “abusé sexuellement durant son enfance” et poursuit : “Il avait un encombrement en lui que la drogue a, un temps, mis en paix“. Des faits confirmés par sa fille Lola Dewaere, qui avaient pourtant déjà émergé dès 2004, encore une fois avec Gérard Depardieu qui s’était confié à Laurent Neumann. “Je crois que, dans son enfance, il avait été victime d’actes de pédophilie. Il m’en avait parlé, mais je ne sais pas si j’ai le droit de raconter ça. Ce que je sais, c’est que sa fragilité venait de là. Cette enfance qui ne passait pas, c’était son abîme, son gouffre intérieur”.
Le coup de téléphone de trop
Un abîme dans lequel Patrick Dewaere a fini par plonger l’après-midi du 16 juillet 1982. Ce jour-là, il tourne des essais vidéos pour le film Edith et Marcel de Claude Lelouch avant d’être reconduit chez lui. Il est retrouvé vers 16 heures par son employé de maison mort, sur le sol, après s’être tiré une balle dans la bouche avec une carabine… offerte par Coluche. La mère de Patrick Dewaere a déclaré que son fils a reçu un coup de téléphone le midi même de la part d’Elsa, lui annonçant qu’il “ne reverrait plus jamais sa fille“, et que c’est ce coup de téléphone qui l’aurait poussé à se suicider. Plus tard, sa fille Lola confirmera cette hypothèse de cet ultime appel qui aura été l’épreuve de trop pour Patrick Dewaere.