Pascal Boyer, a étudié la philosophie et l’anthropologie à l’Université de Paris. Après des recherches de terrain chez les Fang du Cameroun, il a été chercheur au CNRS et occupe aujourd’hui la prestigieuse chaire Henry Luce d’anthropologie cognitive à l’université Washington de St. Louis, aux États-Unis.Son premier essai, Et l’homme créa les dieux : comment expliquer la religion (Robert Laffont, 2001), a fait de lui l’une des grandes figures de l’anthropologie de la religion. Avec La Fabrique de l’humanité (Robert Laffont, 2022), il s’appuie sur les récentes découvertes de la biologie de l’évolution, de la génétique, de la psychologie pour déconstruire nos croyances sur les sujets qui nous préoccupent : la religion, les conflits, la famille, la justice sociale, notamment. Qu’y a-t-il à l’intérieur de notre esprit qui explique que les sociétés humaines adoptent tel comportement ? C’est toute la question de cet ouvrage savant et accessible.Pouvez-vous détailler votre façon de travailler ?Je travaille sur l’esprit humain , sur la base de ses évolutions notamment cérébrales. J’ai démarré par l’anthropologie, au Cameroun et au Gabon. Ce qui m’intéressait, c’était la transmission de la culture, la transmission des idées religieuses et aussi la littérature, au sein de ces groupes, qui se faisait uniquement à l’oral. Or, il s’agissait d’épopées extraordinairement compliquées, un peu comme L’Iliade et l’Odyssée, qui se transmettaient de génération en génération, très facilement. Je me suis rendu compte que ces capacités de groupes recoupaient des notions de psychologie. Ces travaux ont créé mon intérêt pour cette combinaison de psychologie et d’anthropologie, qui constitue les bases d’un groupe humain et de ces modes de fonctionnement. L’objectif étant d’expliquer ce qui, dans la nature de l’esprit humain, dans la façon dont il est construit, fait que des normes et des idées culturelles peuvent être transmises ou, au contraire, être rejetées ou abandonnées.Comment fonctionne l’esprit humain ?Dans l’esprit humain, il y a la nature et la culture, c’est un peu comme un DVD et un lecteur de DVD. Lequel compte le plus ? Et, bien, en fait, c’est l’interaction des deux qui constitue l’esprit humain. Ce qu’il faut faire, c’est faire avec ce qu’on a, ce qui permet toute sorte de flexibilité pour l’Homme. La nature humaine, c’est d’être chasseur-cueilleur au sein d’un collectif. En partant de là, on est arrivé à avoir un jus de fruit sans avoir à le cueillir. Donc on a créé l’agriculture et l’industrie. C’est peut-être notre nature humaine de vouloir assassiner des gens qui nous ont trop embêtés dans la vie. Et pourtant, on a créé des tribunaux. Ces cheminements montrent bien la complexité de l’esprit humain.Vos recherches expliquent beaucoup des réactions de différents groupes dans les débats publics. Il y a un sujet qui nous préoccupe actuellement et sur lequel les groupes humains semblent relativement passifs, c’est le sujet du réchauffement climatique. Qu’en pensez-vous ?En effet, ce sujet n’accroche pas pour plusieurs raisons. Les groupes humains sont réceptifs quand on leur parle de dangers. L’esprit humain a une psychologie de détection du danger très sophistiquée. Cette capacité vient de notre évolution et est centrée notamment sur la contagion et la contamination. Quand on parle de réchauffement de la planète, qui peut générer de graves dangers pour l’espèce humaine, on n’aborde pas clairement ces cibles. Il faudrait prioriser les débats autour des dangers liés à la pollution en termes de contamination pour l’espèce humaine.Est-ce que c’est cette peur de la contamination qui explique la facilité avec laquelle les sociétés se sont confinées en 2020 ?C’est en effet ce système de peur de la contagion. Sur cette base-là, on peut imposer aux sociétés humaines des choses incroyables. Car l’esprit humain cherche toujours à maintenir la collaboration à son groupe d’appartenance.Vous travaillez beaucoup sur la famille, qui est une structure sociétale qui suscite beaucoup de débats, pourquoi ?Dans le cas de la famille et de ces évolutions, il y a deux futurs possibles : soit la concentration et la polarisation, c’est-à-dire que chacun reste sur ses normes et se sert de ces normes pour exclure les autres groupes. Ou alors, peu à peu, les sociétés intégreront le fait qu’il y a des changements de normes. Mais, attention, il ne faut pas sous estimer le coût que ça représente pour certains groupes de voir des normes changer. Car, même si ces changements sociétaux n’enlèvent rien à ces groupes, ils leur retirent une part de certitude quant à l’avenir.Cinéma« Marilyn Monroe a été une influenceuse avant tout le monde » estime la comédienne Séverine FerrerMondeExplosion à Beyrouth : « En deux ans, tout a basculé, c’est dur de comprendre comment les gens font pour survivre »