La productrice française avait été sauvagement tuée en 1996, dans le sud de l’Irlande. Si un homme avait été condamné par la justice en France, pour les autorités irlandaises, le dossier est toujours un “cold case”.
Un nouvel élan, vingt-six ans plus tard. À la fin du mois de juin, le parquet irlandais a relancé l’enquête sur le meurtre de la productrice française Sophie Toscan du Plantier, sauvagement tuée en décembre 1996 en Irlande. Une “tâche sur la société irlandaise”, selon les mots du chef du gouvernement Michéal Martin, que la justice veut tenter d’effacer une bonne fois pour toutes.
Le 23 décembre 1996 au matin, un riverain de la péninsule de Mizen Head, au sud du comté de Cork, découvre avec effroi le corps d’une femme sans vie dont le visage a été massacré à coups de parpaing. La victime, âgée de 38 ans, s’appelle Sophie Toscan du Plantier.
Le corps de cette productrice, également épouse de l’ex-président d’Unifrance Films Daniel Toscan du Plantier, a été retrouvé à une cinquantaine de mètres de la maison secondaire que le couple a achetée cinq ans auparavant. Rapidement, les enquêteurs pensent que la victime a tenté d’échapper à son agresseur, étant donné l’endroit où sa dépouille a été découverte.
La récente parution de deux documentaires revenant en détails sur l’affaire n’y est sans doute pas pour rien dans cet élan insufflé à l’enquête. L’un produit par Netflix, l’autre par la chaîne d’informations Sky News, ces films mettent notamment en lumière les débâcles et les angles morts de l’enquête depuis le crime, et apportent des témoignages inédits.
“Je pense qu’il est important de ne négliger aucune piste pour découvrir qui a tué Sophie. Et aussi de traduire cette personne en justice”, a commenté le chef du gouvernement d’Irlande lors d’une conférence de presse en juin, comme le rapporte le quotidien irlandais Irish Times.
De nouvelles investigations d’autant plus importantes en Irlande que l’affaire est considérée comme un dossier jamais élucidé, qui suscite toujours autant d’interrogations et remue la presse irlandaise. L’enquête n’a pourtant jamais été officiellement refermée par les autorités locales, malgré des investigations de plus en plus rares au fil des ans.
À son arrivée, le nouveau directeur des poursuites publiques – chargé de mener les poursuites pénales – a donc décidé de reprendre le dossier à zéro et de confier l’enquête à une nouvelle division de police, spécialisée dans les affaires non élucidées, afin de faire la lumière sur les circonstances du drame.
Toujours un “cold case” en Irlande, donc, mais une affaire presque classée côté français. Car si personne n’a jamais été jugé pour le meurtre de Sophie Toscan du Plantier d’après les autorités irlandaises, il y a bien eu une condamnation, mais seulement en France: celle de Ian Bailey, ancien journaliste pigiste local visé, selon les enquêteurs français, par un faisceau d’indices, mais pas par des preuves matérielles.
Dès le début de l’enquête, les soupçons de la police se portent sur ce personnage à la taille impressionnante, travaillant avec plusieurs journaux et passionné de poésie. Lui sont rapidement reprochés le fait d’être l’un des premiers à entrer sur la scène de crime, et d’avoir des informations que la police affirme n’avoir jamais divulguées… et que seul le meurtrier pourrait connaître.
Pourtant, Ian Bailey a toujours nié une quelconque implication, déclarant ne pas connaître la victime personnellement, et ce malgré les dires de certains témoins, notamment dans le voisinage, qui diront aux enquêteurs avoir recueilli les confidences du journalistes à propos du crime.
Les juges français estimant qu’un nombre suffisant de preuves avait été amassé pour traduire Ian Bailey en justice, un procès a lieu en mai 2019. Audience cependant bien particulière, le box des accusés demeurant vide: les autorités irlandaises ont toujours refusé d’extrader Ian Bailey malgré les mandats d’arrêt. Malgré tout, il écope de 25 ans de réclusion criminelle, une peine qu’il ne purgera jamais, vivant libre en Irlande.
“Les témoins irlandais ont été entendus, la famille aussi, c’était l’aboutissement d’années de bataille. Tout le monde était satisfait de la condamnation de Ian Bailey, mais tout le monde aurait voulu qu’il soit là. La présidente de la Cour d’assises n’a fait que lire les PV de la police irlandaise, alors qu’il aurait dû être entendu”, explique auprès de BFMTV.com Me Laurent Pettiti, qui représente la famille de la victime.
Vingt-six années n’y ont rien fait: défense et partie civile s’opposent toujours fermement, version contre version. D’une part, la famille de Sophie Toscan du Plantier et son conseil, Laurent Pettiti, n’en démordent pas: Ian Bailey est bien coupable du meurtre de la productrice.
Côté défense, en revanche, on dénonce une procédure et un acharnement “ridicules” sur Ian Bailey en France. “Cela devient vraiment difficile d’être patient avec ceux qui pensent qu’il est coupable”, s’agace Me Frank Buttimer, son avocat en Irlande, contacté par BFMTV.com.
Ce dernier tient d’ailleurs à rappeler que son client n’est plus considéré comme suspect aux yeux de la police irlandaise depuis 14 ans. “Il y a 26 ans, il n’avait déjà pas besoin d’alibi. Pourquoi en aurait-il besoin aujourd’hui? Ça n’a aucun sens”, souffle-t-il. “Pourquoi avons-nous échoué à trouver des preuves pour identifier le vrai coupable?”
Pour des raisons diamétralement opposées, défense et parties civiles voient en ce nouvel élan des enquêteurs irlandais une bonne nouvelle. La famille de Sophie Toscan du Plantier espère voir les investigations aboutir sur un nouveau procès de Ian Bailey en France, cette fois en sa présence.
Quant au principal intéressé, lui aussi est “vraiment content”, rapporte son avocat. “Il avait écrit plusieurs fois au chef de la police pour demander un nouvel examen du dossier”, poursuit Me Frank Buttimer, qui ajoute que son client est encore aujourd’hui dans une “grande détresse” face aux accusations qui le visent. “Il a toujours espéré que le vrai coupable soit traduit en justice.”
Des deux côtés, la reprise des investigations suscite un nouvel espoir, mais pas de grande conviction. “Nous avons peu d’attentes, mais il y a toujours une possibilité”, commente l’avocat de Ian Bailey. Même once d’espérance chez les parties civiles: “Ils ont commencé à réinterroger les témoins, mais la mémoire des gens n’est plus aussi fraîche qu’il y a 26 ans. Il y a de la satisfaction d’un côté, et de l’autre, une incertitude totale quant au résultat de cette enquête”, conclut Me Laurent Pettiti.